Marie Colin (1861-1949)


Qu'est-ce que Vol'tolé ? Vol'Colin!
  • C'est ainsi que bien souvent Marie Colin faisait son entrée. De petite taille, vêtue de noir, un visage ridé comme une pomme reinette qui vient de passer deux hivers, un fichu noir sur la tête en semaine, ou coiffée d'un indescriptible "chépé" noir le dimanche, Marie Colin nous posait un problème quand nous étions jeunes : Jamais nous n'avons pu concevoir qu'elle avait été une petite fille un jour et puis aussi une jeune fille! C'était hors de notre compréhension.
  • Elle demeurait là où est situé le 14 de la grande rue à Fréménil (54), partie Est, puisque cette maison a été constituée dans les années 1980 par la réunion de deux petites maisons de manouvriers.
  • Sur sa tombe au cimetiere communal, on peut lire : Marie COLIN épouse CHATEL 1861-1949. C'est à 88 ans que s' éteignait une humble fréméniloise dont toute la vie a été marquée par le travail et qui a rendu service a toute la commune.
  • Son pere, Michel Colin (1826-1893), mort a 67 ans, était un pauvre manouvrier, travaillant a droite et à gauche chez les laboureurs qui voulaient bien de lui. Sa mère, Rosalie Adam, dite Zélie, (1828-1915) morte à 87 ans, acceptait tous les travaux pour faire bouillir la marmite : lessive, repassage, raccommodage, etc., sans oublier le jardinage.
  • En 1880, à 19 ans, elle épouse Joseph Chatel tout en restant chez ses parents ( ?). Situation peu ordinaire, vous en conviendrez ! Son mariage sera de courte durée. Au bout de six mois "Le joseph" quitte Fréménil pour Paris où il va trouver une place de cocher de fiacre. Pendant cette période parisienne, il limite ses relations avec Marie Colin à quelques lettres communes avec ses parents : "Ma chère femme, Cher Père et Chère Mère". Curieuse conception d'un couple. Il revient a Fréménil mais reste chez ses parents qui habitent "au Faubourg". En mauvaise santé, il meurt non sans avoir reçu une derniere visite de "sa femme". De cette union, il n'y aura pas de descendance!
  • Marie Colin, confrontée aux dures difficultés de la vie, doit y faire face et, suivant l'exemple de sa mère, elle fera son chemin dans la lessive, le repassage, mais elle devient rapidement habile dans la couture. Elle sait tres bien confectionner des chemises pour homme a partir des coupons de tissus qu'on lui apportait, de même que les pantalons de velours très prisés à l'époque.
  • Quand son pere meurt, elle a 32 ans et sa mère "la Zélie", 65 ans. Les deux femmes vont s'épauler pour faire face au destin, poursuivant leurs durs labeurs. Elles cultivent le petit bout de jardin situé derrière leur maison (partie Est de la maison de M. et Mme Jean-Paul B. 14 Grand-Rue) mais également leur champ " du Paturau" (lieu-dit "les Paturaux" puis les Patureaux-Son A) qu'elle appelait "la Ribotte", ainsi que leur petit verger "des Goths" (sur le chemin de Buriville, a l'angle du sentier du Haut des Meix, Son B parcelle n° 187 Lieu- dit "le Haut des Meix"). Quelques pommiers, mirabelliers, des framboisiers et groseilliers constituent l'essentiel de leur patrimoine. Au moment des travaux agricoles, la Zélie et la Marie Colin traversaient le village poussant devant elles une antique et bruyante carriole d'enfants haute sur 4 roues en fer à rayons dont la caisse fatiguée avait fait place a un coffre sommairement latté où s'entassaient les outils de jardinage et les paniers.
  • A l'aube de la Belle époque, elle a 39 ans et sa mère 72 ans. Pour les deux femmes, les robes a froufrou et le french-cancan sont d'un monde très loin d' elles.
  • Pour famille, Marie Colin avait deux cousines ( Mesdemoiselles Lebrun) habitant Lorquin en Moselle. Elles écrivaient de temps en temps et ce lien épistolaire la remplissait de fierté, pauvre Marie qui n'avait que cette seule manifestation familiale. Quand, après la guerre de 1914 les cousines de Lorquin sont venues la voir a Fréménil, elles ont vu la petite maison de manouvrier de Marie Colin. Apres avoir franchi la porte d'entrée peinte en blanc où la chatière découpée dans le bas laissait passer le bon vieux matou ainsi que les deux poules qui constituaient tout son cheptel, les deux cousines ont pris l' étroit couloir peint à la chaux, tournant à gauche elles ont vu la petite cuisine borgne, éclairée seulement par la porte vitrée du "poêle" qui donne sur la rue. Une "pierre a eau" en grès sans évacuation et sans eau - il fallait aller chercher l'eau au puits en face - une vieille cuisinière, un buffet, une table meublaient la piece plongée dans la pénombre. La belle pièce, c'était le " poêle" où le tic-tac de la pendule à contrepoids donnait un fond musical ponctué par les sonneries du temps qui passe. Une table ronde au centre, un lit de coin avec un "plumon" rouge, un crucifix a bénitier en "tête de lit" à droite de la petite fenêtre dont les persiennes à lamelles étaient grandes ouvertes pour donner plus de lumière. A gauche, il y avait la belle machine à coudre Singer orgueil de la couturiere! Et puis, trônant pas loin du lit, il y avait un vieux fauteuil Voltaire recouvert de dentelle où Marie Colin aimait se reposer.

  • Le poêle en faïence avec la porte de son four en "cuivre jaune" bien astiquée était le meuble important qui valait le nom de la piece. Sur le mur de la cuisine, il y avait des placards remplis de choses dont les feuilletons reliés ( provenant de l'Est Républicain et de l'Éclair de l'Est), et des livres qui constituaient la bibliotheque de Marie Colin. Et puis, je me souviens, sur une étagere, il y avait un "Bachus" à cheval sur un tonneau en Saint-Clément qui avait servi dans le temps de réserve de "goutte" ou de quelque liqueur. Une suspension à pétrole descendait du plafond bas. Les murs étaient recouverts d' un papier peint a rayures verticales. Un calendrier des postes et une ou deux gravures illustraient les murs. Il y avait bien sûr une pièce derrière la cuisine et, en allant vers "les derrières", des remises ou s' entassaient des tas de choses recouvertes de poussières et de toiles d' araignées où Marie Colin allait peu et déconseillait à ses visiteurs d'en faire la découverte : c' était son "reculaurüm" (dixit) qui s'apparentait a un capharnaüm.
  • En 1914, avec la guerre, Marie Colin va connaître. une activité débordante. Elle a 53 ans. Fréménil se trouve être le premier village sur le front de Lorraine (zone de Vezouze) a conserver sa population alors que toute la rive droite de la rivière avait été évacuée de ses habitants. C'est ainsi que Domjevin, Blémerey, Saint-Martin, vides de leurs populations, étaient sous la garde des seuls militaires français. La troupe comprenant le danger que courrait la population civile qui s'accrochait a ses pauvres biens, essayait de compenser cette situation par des actions sociales. Des "cuisines" étaient installées dans certaines maisons du village. Comprenez qu'il s'agissait de " roulantes"! Et les "cuistots" des roulantes se montraient généreux pour ces civils : puisqu'ils partageaient leurs dangers, ils partageraient aussi leurs repas. Les militaires cantonnant dans le village étaient devenus familiers des civils : on se réconfortait mutuellement, on faisait la connaissance de braves gens venus de l'autre bout de la France pour défendre le pays. Des amitiés se nouaient, et, quand un jour, l'ordre tombait de monter a l'attaque du côté de Reillon, de Vého ou de Leintrey, le village angoissé entendait le tonnerre de l' artillerie si proche, la fusillade et les hurlements de l'attaque, la bataille qui n'en finissait pas, les lueurs des incendies dans le ciel. Et quand meurtris, rompus par la fatigue et l'horreur des combats, les régiments redescendaient des lignes, les civils de Fréménil comptaient, eux aussi, les manquants. Que de jeunesse fauchée, combien de fils, de fiancés, d'époux, de pères de famille s'en sont allés ainsi en ces années de guerre...
  • Au service de ces braves qui défendaient la patrie, Marie Colin propose ses talents de couturière. C'était inespéré pour ces hommes dont la plupart ne savaient pas manier une aiguille! Que de boutons recousus, de poches rapiécées, d'accrocs réparés. Car il faut préciser que l'intendance était tres économe des uniformes militaires. Dame, on ne remplaçait pas une chemise ou un pantalon à la légère! Une spécialité de Marie Colin était la confection des calots, ces célebres calots à deux pointes, qui comme tout le reste, s'usaient, se perdaient, se salissaient. Coudre, recoudre, couper, c'était la condition de Marie Colin. Une autre production de notre Marie la Couturiere, pour étonnante qu'elle soit dans ces moments tragiques, c'était "Nénette et Rintintin". Avec des morceaux de laines de couleurs, elle faisait deux petits pantins d'une dizaine de centimètres de hauteur, bras et jambes écartées, des noeuds marquant la tête, le corps et les membres. Ces ornements futiles faisaient la joie des soldats qui n'hésitaient pas à en envoyer à leur famille, messages d'amour de la part de ceux qui faisaient la guerre en Lorraine.
  • En 1915, sa mere "la Zélie" meurt à 87 ans. Voici notre Marie toute seule dans la tourmente. Comme d'habitude, elle va faire face en poursuivant ses activités de couturière. En cette période de guerre, tous ces travaux lui vaudront rémunérations modestes mais qui lui suffiront à survivre.
  • La guerre finie, Marie Colin travaille dur. La couturière de Fréménil a du pain sur la planche pour satisfaire tout le monde, tant au village que dans les villages voisins. L'économie reprend. Il faut bien s'habiller et on n'a encore pas pris l'habitude de se fournir "en confection". Alors elle fait des pantalons, des chemises, des vestes pour homme, des robes, des tabliers, des corsages, des manteaux pour femme. C'est a cette époque qu'elle fait l' acquisition d'une machine a coudre Singer. Quelle légitime fierté que ce témoignage du progrès. Il fallait la voir pédaler pour actionner la courroie de cuir qui faisait tourner la machine dans un "tac-a-tac" triomphant!
  • A propos de chemises, mesurons l'habileté de Marie Colin la Couturière qui honorera une série de commandes : toute seule, elle arrivait à produire quatre chemises d'hommes par jour. Levée avec le soleil, sa première chemise était terminée a 8 heures du matin! Saluons le travail et la rapidité d' exécution comprenant la coupe, l'assemblage, le façonnage du col, des poignets et des boutonnières. Bravo Marie! Avec des chutes de tissus elle fabrique des "patins", chaussons simples et pratiques. Elle va aussi broder des draps, des taies d' oreillers, des mouchoirs, des nappes, pour Madame Alice Manonviller, entrepreneur de broderie blanche a Fréménil. Le Pere Denis, son voisin, avait recours a ses talents pour lui faire réaliser des pantalons de velours dont le tissu provenait des usines Bechmann d'Ogéviller. Pour lui, plâtrier de son état, qui allait sur les chantiers ainsi que pour son fils, le Louis, Marie Colin fabriquait des chemises molletonnées presque inusables. En échange de quoi, il lui faisait son bois pour l'hiver. Pas d'échange d'argent : Cette époque était encore marquée par le troc.
  • Mais toute cette vie active, que d' aucun trouve-ront bien banale était émaillée par des moments de bonheur. Elle aimait les enfants des autres puisqu' elle n'en avait pas. Animée d'une grande foi, elle fréquentait l'église, disait son chapelet et essayait de vivre son temps terrestre en accord avec son catéchisme. Son visage, ridé de bonne heure, savait s'éclairer pour une histoire d'amour. Qu'untel "fréquente" une telle dans le village et notre Marie Colin était contente pour ce roman qui s' annonçait. Romantique, elle l'était, car elle appréciait les livres. Delly, Max du Veuzit, étaient des auteurs qui la comblaient d'aise car, au moins là, tout finissait bien : "Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Et puis c' était souvent une fille pauvre qui rencontrait un beau jeune homme riche, et cela faisait rêver notre Marie Colin. En ce temps-la, on lisait "Les Veillées des Chaumières", les feuilletons des journaux l'Est Républicain, La Croix de l'Est, L'Éclair, Le Pelerin, La Croix (de Paris). Découpés et reliés par un gros fil, ces feuilletons constituaient une bibliotheque que l'on se passait de l'un à l' autre en donnant son appréciation. Le roman qui lui avait laissé un souvenir impérissable, c'était "Patrie perdue" dont l'action se situait en Alsace- Lorraine prise par les Allemands après la défaite de 1870. Pour se tenir au courant de la mode, elle était friande du "Petit Écho de la Mode", "Mon Ouvrage" , "Mode de Paris" qu'on lui prêtait.
  • Elle n'était pas une cuisinière émérite mais aimait encore bien les douceurs. Dans le domaine de la pâtisserie, elle réalisait souvent un "Tôt-fait" qui, comme son nom l'indique devait être rapidement exécuté. Mais que de fois n' était-elle pas à la recherche de la " saprée recette du Tôt-fait" qu'elle avait égarée ! Des moments de bonheur, Marie Colin en trouvait aussi dans les couarails et les veillées. Je me souviens d'elle quand elle venait chez ma grand-mère en plein hiver. La tête couverte d'un fichu noir, une pèlerine sur les épaules, engoncée dans un vieux manteau noir, elle arrivait chargée comme un mulet avec une lanterne et son cabas à rabat contenant son ouvrage de couture ou de tricot. Souvent, je l'ai vue arriver avec son "covah", sa chaufferette pour réchauffer ses pieds trop souvent froids. En dernier, ma grand-mère lui préparait elle-même une chaufferette avec des braises bien chaudes pour qu'elle n'ait pas le souci de ce chargement supplémentaire dans son déménagement. Elle aimait ses veillées ou elle pouvait parler du temps passé, de la guerre de 14, elle citait les noms des soldats, de ceux qui étaient partis pour ne plus jamais revenir; pour elle, tous ces événements étaient proches, elle les revivait à l'instant. Et puis, il ne se passait pas de veillées sans que notre Marie ne chante une chanson. Je l' entends encore chanter de sa voix un peu chevrotante mais encore juste " Froufrou" ou 'La Madelon", mais celle qu'elle aimait bien c'était celle qui racontait à un enfant l'épopée de Son père aviateur pendant la guerre, mort au champ d'honneur :
    "Il est parti sur un nuage, tout là-haut, bien haut Dans les cieux, en disant surtout soit bien sage, Je m'en vais tout prêt du Bon Dieu!".
  • Une autre de ses prouesses vocales était "la chanson des départements". Sous la forme d'une comptine, elle récitait, comme une litanie chantée, les départements de la France avec les chefs-lieux et les sous-préfectures. Véritable exercice de mémoire qu'elle réalisait comme un "chef" !
  • Avec l'âge, Marie Colin perdait ses facultés. Elle devenait "sourde comme un pot" obligeant ses interlocuteurs a crier pour se faire entendre. Sa vue s'en allait aussi et les lunettes équipées de verres gros comme des loupes étaient insuffisantes et ne lui permettaient plus d'exercer ses talents de couturiere et de brodeuse. Elle qui vivait déja chichement était contrainte a de nouvelles économies. Ma grand-mère essayait autant que faire se peut d' améliorer son ordinaire et lui préparait quelques soupes et autres mets plus consistants. Certains dimanches, elle avait droit a un dessert tel que le clafoutis, le savarin ou le baba au rhum qu'elle aimait. Elle ne manquait pas le lendemain de remercier encore et, pour souligner l'excellence de la pâtisserie, elle avait enrichi le vocabu- laire lorrain d'une appellation toute personnelle : "Mon Dieu, le Bibon le Savarin de dimanche, Alice! Mon Dieu, le Bibon!" du préfixe Bi : deux fois et Bon - donc deux fois bon ; quel critère de qualité!
  • Pauvre Marie Colin dont toute sa vie ne fût que travail et sacrifice pour arriver a joindre les deux bouts, à une époque qui ignorait l'allocation vieillesse. Mais sa force fût sa simplicité et sa bonne humeur qui lui permit de traverser les vicissitudes de la vie. Voilà le portrait d'une vie... d'une vie bien simple... Et pourtant dans sa simplicité notre personnage a servi ses contemporains. Chaque individu a une place dans ce monde. Marie Colin, en son temps, a tenu la sienne a sa manière, avec courage, en dépit des difficultés...
Article écrit par Jean Spaite et publié dans la Revue Lorraine Populaire de décembre 1998, No.145

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