Quand on chantait

La scène que nous allons évoquer se situe en 1936.

En ce mois d’Août particulièrement chaud, on recherchait un coin d'ombre, abrité des rayons du soleil. La Marie ANTOINE, qui à l'époque devait avoir 55 ans, avait monté ses tréteaux soutenant son cadre tendu de tulle où elle pouvait poursuivre avec son crochet son ouvrage de perles qu'elle avait entrepris depuis plusieurs jours.

Quand il faisait chaud comme aujourd'hui, elle appréciait de se mettre dans le "racoin" de la maison du Georges DURAND. Il y avait toujours des curieux et surtout des curieuses pour venir admirer son travail, regardant, toujours étonnés, la course du crochet fixant les perles brillantes et parler de tout et de rien avec l'habile perleuse qu'était la Marie ANTOINE. En ces chaudes journées du mois d’Août, la Florence, la soeur de la Marie, de 4 ans son aînée, venait aussi tenir compagnie à la perleuse. Son travail habituel à la Florence était la cuisine. Aussi, à côté de sa petite soeur elle venait avec son panier de légumes qu'elle préparait, soit pour le repas du soir, soit pour faire des conserves pour les jours à venir. L'une comme l'autre, chacune dans son domaine, n’arrêtait jamais et souvent on pouvait voir la Florence partir sur les chemins des villages environnants pour "faire un repas de communion ou un mariage". La cuisinière en ces occasions poussait une charrette à quatre roues où elle avait entassé  avec soin les casseroles, les marmites, les ustensiles personnels indispensables pour remplir son rôle apprécié par les gourmets !

A l'abri du soleil, la Marie et la Florence étaient là, bien tranquilles, occupées à leurs ouvrages respectifs.  Et voilà qu'une visite s'invite à leur tranquillité !

Il s'agit des gamines du quartier. Elles ont une douzaine d'années et sont toujours admiratives devant le travail de "la Marie". Mais ce qu'elles aiment encore plus, c'est de l'entendre chanter et d'apprendre avec elle des refrains peu connu aujourd'hui. Il est vrai que notre Marie pouvait facilement évoquer l'époque 1900, et même un peu avant, quand elle était petite ... pour le plus grand intérêt de son jeune auditoire. Et la brave Marie ANTOINE ne se fait pas prier pour parler du temps de sa jeunesse en émaillant son récit de chansons joyeuses apprises "dans le temps"!...

Il me revient en mémoire une comptine que seule la Marie ANTOINE connaissait. C'était "Les filles dans un pré". En voici le texte :

Elles étaient dix filles dans un pré
Toutes les dix à marier
Y avait Dine
Y avait Chine
Y avait Claudine et Martine
Aaah!
Catherinette et Catherina
Y avait la belle Suzon
La duchesse de Montpanson
Y avait Célimène
Et y avait la Dumaine.

Quel tableau touchant d'évoquer Marie Antoine la perleuse qui se montrait une si douce "maîtresse de chant" avec son choeur admiratif de petites filles. Elle leur a appris des chansons gentilles mais ne dédaignait pas leur apprendre des cantiques d'église, elle qui se révélait une belle voix dans la chorale paroissiale.
 
Tout cela, c'était dans le temps, quand on chantait... et quand on chantait bien...

PS.  Ne soyez pas étonnés par les tournures locales de ce récit et notamment "LA Marie" et "LA Florence": On parle comme ça chez nous en Lorraine!
                                 
Jean SPAITE    Juillet 2011

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