Le cimetière et l'abbé Hatton

On ne peut aborder l’histoire du “Cimetière de Fréménil” sans rappeler un personnage érudit qui s’est manifesté en ce lieu de repos en Juillet 1936.

Ce personnage inattendu dans le monde religieux, c’est l’Abbé Emile HATTON un curé archéologue.

Mais avant de venir s’illustrer au cimetière de Fréménil en 1936, faisons un rapide retour sur sa vie antérieure.

Cure_Haton.jpg, déc. 2009

Le professeur éminent

L’abbé Emile HATTON relève d’une famille lorraine puisqu’il est né le 13 Mai 1882 à Saint Clément (54)

Il est ordonné prêtre le 8 Juillet 1906 à l’âge de 24 ans. Remarqué par l’administration diocésaine pour son érudition, il va être amené à consacrer 19 années, coupées par son service militaire et la grande guerre, à l’enseignement professoral. Le 1er Octobre 1906 il intègre l’Ecole des Hautes Etudes, on le retrouve Docteur ès lettres de l’Université de Nancy. Le 1er Octobre 1908 il est nommé professeur au Collège St Pierre Fourrier de Lunéville, puis 2 ans plus tard, professeur au Petit Séminaire de Bosserville le 1er Octobre 1910 . Il y aura donc l’interruption de la 1ère guerre mondiale suivie de son affectation comme professeur à St Sigisbert à Nancy à partir du 12 Février 1922, puis la même année à dater du 1er Octobre 1922 au Collège de La Malgrange à Jarville.

Ce long périple d’enseignement l’épuise et l’a tenu à distance de son rôle sacerdotal qui est sa véritable vocation.

Sa demande est acceptée par sa hiérarchie qui lui attribue la desserte des paroisses de Domjevin et Fréménil, son presbytère étant fixé à Domjevin.

Le curé de campagne

On le retrouve donc à l’âge de 43 ans curé de Domjevin et Fréménil à dater du 8 Août 1925. Prêtre imprégné de son rôle pastoral il étonnait son auditoire par ses prêches d’un haut niveau religieux. Il réussissait à captiver ses fidèles peu habitués à une qualité oratoire qui en surprenait plus d’un. Il est vrai que le desservant de la paroisse pouvait se déclarer professeur d’histoire, membre de l’Académie Stanislas, et se révélait être un archéologue averti ayant exploré les divers sites de la région: routes et vestiges romains notamment.

En prenant la suite de son prédécesseur l’Abbé Joseph MEYER qui a rénové le pèlerinage de Notre Dame de la Bonne Fontaine dépendant de la paroisse de Domjevin, il n’oublie pas que ce lieu béni est sis sur l’emplacement d’un hameau détruit en 1308, Frisonviller qui retient l’attention de l’historien archéologue qui veille en lui.

Il restait accessible à tous, lui qui émanait de ce monde rural qu’il connaissait particulièrement bien, parcourant les environs avec sa “bécane de curé”, n’hésitant pas à s’arrêter pour saluer les gens et parler avec les anciens en mots de patois lorrain qu’il lui arrivait de pratiquer. Ce qui valait cette réflexion: “Il nous comprend, il est de chez nous”. D’autant plus que le curé de campagne s’activait au jardin de son presbytère, taillait sa vigne et s’occupait de ses abeilles à son rucher ! Un personnage universel dans ses compétences, ce qui en étonnait plus d’un, mais qui ne délaissait pas pour autant ses chères études historiques et archéologiques dont il faisait profiter ses paroissiens au cours de causeries de bonne tenue, engendrant un respect admiratif de son auditoire: “Not’ curé, c’est un savant ! ”.

A chaque fois qu’il venait pour y célébrer la Sainte Messe, l’amateur d’art qu’il était éprouvait un sentiment sublime pour l’église Saint Pierre aux liens de Fréménil qui avait le privilège d’abriter un mobilier exceptionnel : la chaire à prêcher en bois sculpté du XVIIIe siècle (1770-1790 ), le remarquable tableau de St Pierre aux liens montant au ciel, rehaussé de glaces biseautées, situé en arrière-plan du maître-autel en marbre galbé et mouluré, surmonté d’un retable et d’un  tabernacle en bois sculpté doré, datant également du XVIIIe siècle.

Un décor admirable et  pourtant inattendu pour une église de campagne. 

Jeanne Livet, mai 2010

Le curé archéologue

Dans les différentes appellations de lieu-dit du village de Fréménil, il en était une qui intriguait énormément notre curé archéologue: c’était “le Camp” situé à l’Est du village, où se trouvait le nouveau cimetière communal depuis 1887 après l’abandon du premier cimetière de l’église. Après une longue étude historique afin de définir l’emplacement d’un éventuel Camp et une demande d’autorisation en bonne et due forme, l’Abbé HATTON décida de prospecter le terrain sous la forme de fouilles.

Avec des moyens restreints et l'utilisation d’un pendule dont il se révélait un expert, avec l'emploi de terrassiers de bonne volonté: Messieurs Lucien CARMENTRE et Georges DURAND, l’Abbé HATTON limita son sondage sur la parcelle 78 (terre cultivable) et la parcelle 79 (cimetière) en retrait de 60 m. environ du CD19A. Sur la parcelle 78 il ne trouva rien d’évident (quelques vestiges de tuiles), cependant que sur la parcelle 79 (cimetière) au droit de la tombe de la famille DIDELOT (concession N° 4) une fouille sous la forme d’un puits lui confirme l’existence d’une construction des temps anciens. Il met à jour des restes de sculpture, des fragments d’une statue en grès assez vraisemblablement un cavalier à l’anguipède. Ladite sculpture fut par la suite remise par ses soins au Musée Lorrain de Nancy. A ses yeux d’historien, il y avait eu à cet emplacement une villa romaine, plus exactement gallo-romaine, construction typique d’une exploitation agricole.

Mais la satisfaction de l’archéologue fut de courte durée, car le propriétaire de la tombe N° 4, Eugène DIDELOT, craignant que les fouilles ne puissent “faire découvrir les pieds de l’Augustine” qui était enterrée là, toute proche, fit venir le Maire, Henri BENOIT (maire de 1930 à 1940) et les gendarmes pour mettre un terme à cette opération.

Fort de son bon droit, autorisation à l’appui, l’Abbé HATTON fit intervenir la Société d’Archéologie Lorraine, la Préfecture.

Le 20 Octobre 1936, le Sous-Préfet représentant de la République, se retrouva dans l’allée du cimetière fréménilois au côté de l’Architecte des Monuments Historiques pour soutenir le curé archéologue. Mais face à l’opposition du Conseil Municipal, les recherches historiques furent abandonnées et le puits garde toujours son secret. Les fouilles furent comblées et tout rentra dans l’ordre.

Et notre curé professeur d’histoire fut muté en fin d’année 1936 à Nancy auprès de l’Evêque Monseigneur FLEURY pour s’occuper en tant que rédacteur, de la revue diocésaine “La Semaine Religieuse”.

Précisons que la sculpture statue du cavalier à l’anguipède remise au Musée Lorrain de Nancy par l’Abbé HATTON avait été reproduite en dessin par une jeune fille de talent Madeleine BLAISE sur la demande de l’archéologue découvreur de manière à garder une trace.

Après le cimetière de Fréménil…

Nous voici le 3 Août 1936, Emile HATTON a 54 ans et se trouve nommé Directeur de La Semaine Religieuse à Nancy auprès de son évêque Monseigneur FLEURY.

Le voilà loin de sa Lorraine champêtre et de son ministère de curé de campagne où il se trouvait bien. Sans aucun doute il regrette de ne pas avoir eu la possibilité de poursuivre ses découvertes archéologiques du cimetière de Fréménil; mais il garde une certitude: il avait raison, en ce lieu il y a bien eu une villa gallo-romaine.

Ses activités rédactionnelles à la Semaine Religieuse lui permettent néanmoins des recherches historiques, des rencontres avec des sommités dans le domaine archéologique. Dès le 7 Janvier 1937, il produit une conférence remarquée à la Faculté de Lettres de Nancy ayant pour thème “Les vestiges gallo-romain de Domjevin “

Emile HATTON présentera au fil des ans de nombreuses études historiques dont:

  • ”Les Soeurs de la Charité Saint Vincent de Paul”
  • Un ouvrage historique sur “La Chartreuse de Bosserville”

Il arrête sa collaboration à La Semaine Religieuse en 1946 soit après 10 ans de son activité rédactionnelle, sans pour autant renoncer à son intérêt pour la recherche historique.

Il se retire à Nancy puis, en fonction des années qui passent et de ses conditions physiques qui évoluent, il consent à prendre une retraite à 73 ans en 1955 au Bas Château d’Essey lès Nancy(Fondation St Vincent de Paul)

On peut supposer que ses meilleurs amis étaient ses documents historiques, ses dossiers de recherches archéologiques qui lui restaient fidèles.

Il quitte le Bas Château pour rejoindre la Maison de Retraite de Prêtres, la Villa Saint Pierre Fourrier à Villers lès Nancy où il décède le 16 Juin 1963 à l’âge de 81 ans.

La cérémonie religieuse d’adieu a eu lieu en l’église Saint Joseph de Nancy.

Emile HATTON, ce curé exceptionnel, repose au cimetière du Sud de Nancy, Tombe N°4- Section 51-Sépulture des prêtres du diocèse de Nancy et Toul.

Qu’il repose en paix.

Jean SPAITE Février 2021

Bibliographie: 

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