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mercredi 3 février 2021

Le cimetière et l'abbé Hatton

On ne peut aborder l’histoire du “Cimetière de Fréménil” sans rappeler un personnage érudit qui s’est manifesté en ce lieu de repos en Juillet 1936.

Ce personnage inattendu dans le monde religieux, c’est l’Abbé Emile HATTON un curé archéologue.

Mais avant de venir s’illustrer au cimetière de Fréménil en 1936, faisons un rapide retour sur sa vie antérieure.

Cure_Haton.jpg, déc. 2009

Le professeur éminent

L’abbé Emile HATTON relève d’une famille lorraine puisqu’il est né le 13 Mai 1882 à Saint Clément (54)

Il est ordonné prêtre le 8 Juillet 1906 à l’âge de 24 ans. Remarqué par l’administration diocésaine pour son érudition, il va être amené à consacrer 19 années, coupées par son service militaire et la grande guerre, à l’enseignement professoral. Le 1er Octobre 1906 il intègre l’Ecole des Hautes Etudes, on le retrouve Docteur ès lettres de l’Université de Nancy. Le 1er Octobre 1908 il est nommé professeur au Collège St Pierre Fourrier de Lunéville, puis 2 ans plus tard, professeur au Petit Séminaire de Bosserville le 1er Octobre 1910 . Il y aura donc l’interruption de la 1ère guerre mondiale suivie de son affectation comme professeur à St Sigisbert à Nancy à partir du 12 Février 1922, puis la même année à dater du 1er Octobre 1922 au Collège de La Malgrange à Jarville.

Ce long périple d’enseignement l’épuise et l’a tenu à distance de son rôle sacerdotal qui est sa véritable vocation.

Sa demande est acceptée par sa hiérarchie qui lui attribue la desserte des paroisses de Domjevin et Fréménil, son presbytère étant fixé à Domjevin.

Le curé de campagne

On le retrouve donc à l’âge de 43 ans curé de Domjevin et Fréménil à dater du 8 Août 1925. Prêtre imprégné de son rôle pastoral il étonnait son auditoire par ses prêches d’un haut niveau religieux. Il réussissait à captiver ses fidèles peu habitués à une qualité oratoire qui en surprenait plus d’un. Il est vrai que le desservant de la paroisse pouvait se déclarer professeur d’histoire, membre de l’Académie Stanislas, et se révélait être un archéologue averti ayant exploré les divers sites de la région: routes et vestiges romains notamment.

En prenant la suite de son prédécesseur l’Abbé Joseph MEYER qui a rénové le pèlerinage de Notre Dame de la Bonne Fontaine dépendant de la paroisse de Domjevin, il n’oublie pas que ce lieu béni est sis sur l’emplacement d’un hameau détruit en 1308, Frisonviller qui retient l’attention de l’historien archéologue qui veille en lui.

Il restait accessible à tous, lui qui émanait de ce monde rural qu’il connaissait particulièrement bien, parcourant les environs avec sa “bécane de curé”, n’hésitant pas à s’arrêter pour saluer les gens et parler avec les anciens en mots de patois lorrain qu’il lui arrivait de pratiquer. Ce qui valait cette réflexion: “Il nous comprend, il est de chez nous”. D’autant plus que le curé de campagne s’activait au jardin de son presbytère, taillait sa vigne et s’occupait de ses abeilles à son rucher ! Un personnage universel dans ses compétences, ce qui en étonnait plus d’un, mais qui ne délaissait pas pour autant ses chères études historiques et archéologiques dont il faisait profiter ses paroissiens au cours de causeries de bonne tenue, engendrant un respect admiratif de son auditoire: “Not’ curé, c’est un savant ! ”.

A chaque fois qu’il venait pour y célébrer la Sainte Messe, l’amateur d’art qu’il était éprouvait un sentiment sublime pour l’église Saint Pierre aux liens de Fréménil qui avait le privilège d’abriter un mobilier exceptionnel : la chaire à prêcher en bois sculpté du XVIIIe siècle (1770-1790 ), le remarquable tableau de St Pierre aux liens montant au ciel, rehaussé de glaces biseautées, situé en arrière-plan du maître-autel en marbre galbé et mouluré, surmonté d’un retable et d’un  tabernacle en bois sculpté doré, datant également du XVIIIe siècle.

Un décor admirable et  pourtant inattendu pour une église de campagne. 

Jeanne Livet, mai 2010

Le curé archéologue

Dans les différentes appellations de lieu-dit du village de Fréménil, il en était une qui intriguait énormément notre curé archéologue: c’était “le Camp” situé à l’Est du village, où se trouvait le nouveau cimetière communal depuis 1887 après l’abandon du premier cimetière de l’église. Après une longue étude historique afin de définir l’emplacement d’un éventuel Camp et une demande d’autorisation en bonne et due forme, l’Abbé HATTON décida de prospecter le terrain sous la forme de fouilles.

Avec des moyens restreints et l'utilisation d’un pendule dont il se révélait un expert, avec l'emploi de terrassiers de bonne volonté: Messieurs Lucien CARMENTRE et Georges DURAND, l’Abbé HATTON limita son sondage sur la parcelle 78 (terre cultivable) et la parcelle 79 (cimetière) en retrait de 60 m. environ du CD19A. Sur la parcelle 78 il ne trouva rien d’évident (quelques vestiges de tuiles), cependant que sur la parcelle 79 (cimetière) au droit de la tombe de la famille DIDELOT (concession N° 4) une fouille sous la forme d’un puits lui confirme l’existence d’une construction des temps anciens. Il met à jour des restes de sculpture, des fragments d’une statue en grès assez vraisemblablement un cavalier à l’anguipède. Ladite sculpture fut par la suite remise par ses soins au Musée Lorrain de Nancy. A ses yeux d’historien, il y avait eu à cet emplacement une villa romaine, plus exactement gallo-romaine, construction typique d’une exploitation agricole.

Mais la satisfaction de l’archéologue fut de courte durée, car le propriétaire de la tombe N° 4, Eugène DIDELOT, craignant que les fouilles ne puissent “faire découvrir les pieds de l’Augustine” qui était enterrée là, toute proche, fit venir le Maire, Henri BENOIT (maire de 1930 à 1940) et les gendarmes pour mettre un terme à cette opération.

Fort de son bon droit, autorisation à l’appui, l’Abbé HATTON fit intervenir la Société d’Archéologie Lorraine, la Préfecture.

Le 20 Octobre 1936, le Sous-Préfet représentant de la République, se retrouva dans l’allée du cimetière fréménilois au côté de l’Architecte des Monuments Historiques pour soutenir le curé archéologue. Mais face à l’opposition du Conseil Municipal, les recherches historiques furent abandonnées et le puits garde toujours son secret. Les fouilles furent comblées et tout rentra dans l’ordre.

Et notre curé professeur d’histoire fut muté en fin d’année 1936 à Nancy auprès de l’Evêque Monseigneur FLEURY pour s’occuper en tant que rédacteur, de la revue diocésaine “La Semaine Religieuse”.

Précisons que la sculpture statue du cavalier à l’anguipède remise au Musée Lorrain de Nancy par l’Abbé HATTON avait été reproduite en dessin par une jeune fille de talent Madeleine BLAISE sur la demande de l’archéologue découvreur de manière à garder une trace.

Après le cimetière de Fréménil…

Nous voici le 3 Août 1936, Emile HATTON a 54 ans et se trouve nommé Directeur de La Semaine Religieuse à Nancy auprès de son évêque Monseigneur FLEURY.

Le voilà loin de sa Lorraine champêtre et de son ministère de curé de campagne où il se trouvait bien. Sans aucun doute il regrette de ne pas avoir eu la possibilité de poursuivre ses découvertes archéologiques du cimetière de Fréménil; mais il garde une certitude: il avait raison, en ce lieu il y a bien eu une villa gallo-romaine.

Ses activités rédactionnelles à la Semaine Religieuse lui permettent néanmoins des recherches historiques, des rencontres avec des sommités dans le domaine archéologique. Dès le 7 Janvier 1937, il produit une conférence remarquée à la Faculté de Lettres de Nancy ayant pour thème “Les vestiges gallo-romain de Domjevin “

Emile HATTON présentera au fil des ans de nombreuses études historiques dont:

  • ”Les Soeurs de la Charité Saint Vincent de Paul”
  • Un ouvrage historique sur “La Chartreuse de Bosserville”

Il arrête sa collaboration à La Semaine Religieuse en 1946 soit après 10 ans de son activité rédactionnelle, sans pour autant renoncer à son intérêt pour la recherche historique.

Il se retire à Nancy puis, en fonction des années qui passent et de ses conditions physiques qui évoluent, il consent à prendre une retraite à 73 ans en 1955 au Bas Château d’Essey lès Nancy(Fondation St Vincent de Paul)

On peut supposer que ses meilleurs amis étaient ses documents historiques, ses dossiers de recherches archéologiques qui lui restaient fidèles.

Il quitte le Bas Château pour rejoindre la Maison de Retraite de Prêtres, la Villa Saint Pierre Fourrier à Villers lès Nancy où il décède le 16 Juin 1963 à l’âge de 81 ans.

La cérémonie religieuse d’adieu a eu lieu en l’église Saint Joseph de Nancy.

Emile HATTON, ce curé exceptionnel, repose au cimetière du Sud de Nancy, Tombe N°4- Section 51-Sépulture des prêtres du diocèse de Nancy et Toul.

Qu’il repose en paix.

Jean SPAITE Février 2021

Bibliographie: 

dimanche 30 octobre 2016

La JAC (Jeunesse Agricole Catholique) dans notre Lorraine

Sigle_JAC.jpgEn 1929 est né le mouvement JAC (Jeunesse Agricole Catholique) se donnant comme objectif l'union des jeunes catholiques en monde paysan qui, en ces années de première moitié du XXème siècle représentait une part importante de la population totale du pays (53,7 % en 1921 et 48 % en 1936). Pour information notons qu'en 1846 76 % de la population française était majoritairement rurale soit les 3/4 de la population totale et, en 1990 nous arrivons à un taux de 25,9 % soit le 1/4 de la population totale. En 2015, ce chiffre atteint à peine les 20 %. (Données Banque Mondiale)

Dans notre village à cette époque du siècle précédent, ils étaient nombreux garçons et filles a adhérer à ce mouvement catholique nouvellement créé qui touchait une génération de 18 à 36 ans. Les activités de la JAC visaient à l'information des jeunes dans leur métier avec la découverte de méthodes de culture, l'équipement agraire avec le modernisme à venir, la gestion des exploitations. Tout cela dans un esprit de fraternité catholique, de coopération et d'exigence du respect d'une profession menacée déjà par l'exode rurale.

C'est dans le village de MAIXE (54) à 7,5 Km au Nord-Ouest de LUNEVILLE et à 30 Km de NANCY que Charles JACQUES voit le jour le 16 Février 1900 dans une famille lorraine faisant partie du monde agricole. Il était d'une santé fragile et décide très tôt devenir prêtre. Il est ordonné le 12 Juillet 1925 à l'âge de 25 ans, le 22 Août de cette même année il est nommé vicaire à Ste Jeanne d'Arc à LUNEVILLE et le 12 Août 1926 il est désigné sous-directeur des Oeuvres Agricoles compte tenu de ses précieuses connaissances et de ses orientations du monde paysan.

Très sensible à la situation de la jeunesse dans un environnement rural qu'il connaît bien il décide de créer un mouvement d'inspiration religieuse pour épauler cette génération. Il va l'appeler JAC (Jeunesse Agricole Catholique) en jeu de mot avec son nom propre JACQUES. La JAC va rencontrer un succès certain dans nos villages lorrains à une époque où la pratique religieuse était particulièrement importante. C'était l'époque des Jacistes et des Semeuses qui tenaient tant à coeur de son fondateur. L'Abbé JACQUES va se dépenser sans compter pour cette jeunesse agricole qui lui est contemporaine.

"C'était un chef et un entraîneur. Quand on l'avait trouvé une fois sur sa route, on ne pouvait plus le quitter". ("En avant" - Mai 1939)

Il devient le premier aumonier diocésain de la JAC et cumule les fonctions dans les mouvements mutualistes :

  • Secrétaire général de l'ULSA (Union Lorraine des Syndicats Agricoles, présidé à l'époque par le Colonel LYAUTEY.
  • Secrétaire de la Caisse Lorraine d'Assurances Mutuelles Incendies.
  • Président de la Mutualité des Familles Lorraines.

Par ses talents littéraires on le retrouve, sous le pseudonyme de Jean DEMAY, écrivant des nouvelles paysannes (L'Oncle Alfred). Il publie un livre sur l'origine de la JAC en Meurthe et Moselle "Pour que la terre ne meure pas", et sous le titre "Les Heures Paysannes" il présente en 1933 un cycle sur la crise morale de l'agriculture.

Avec une vie hyper active, malgré une santé délicate, l'Abbé JACQUES remplit sa mission auprès d'un monde paysan qui aspire a être épaulé dans l'incertitude de l'avenir. Quelle belle figure que ce prêtre plein de dévouement qui s'éteint pieusement le 17 Mai 1939 à l'âge de 39 ans dans son village natal de MAIXE.
"Il vit venir la mort et l'attendit dans la paix de son coeur" (Sagesse).
Ne l'oublions pas.

Charles_Jacques.jpg
In fine, citons un extrait de ses propres écrits "Un mouvement de jeunesse paysanne" :

"Travailleurs aux mains calleuses, chrétiens à la foi simple et forte, saintes au sourire si doux, du haut du Paradis où vous avez trouvé la juste récompense de vos sacrifices obscurs et de vos vertus sublimes, priez pour vos fils et vos filles. Priez pour que la jeunesse paysanne qui monte à la vie, soit digne de continuer votre labeur et de remplir la noble mission qui lui est confiée : celle de garder au Christ"
"la belle France et la vaillante race française."   Abbé Charles JACQUES 1900-1939  Prêtre fondateur de la JAC.

Vous pouvez retrouver la tombe de l'Abbé JACQUES au cimetière communal de MAIXE.  Qu'il repose en Paix.

Jean SPAITE    Octobre 2016


NOTA:
  1. La JAC à partir de 1963 a été reprise par le MRJC (Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne)
  2. La Lorraine peut-elle être qualifiée de terre de vocations des mouvements de jeunesse chrètienne ?
    Rappelons qu'un enfant du Toulois a consacré sa vie aux jeunes travailleurs. Il s'agit de Georges GUERIN né à ECROUVES-GRANDMENIL (54) le 24 Octobre 1891, ordonné prêtre le 29 Juin 1925. Il est le fondateur de la JOC française en 1927 (Jeunesse Ouvrière Catholique).
    "La vie d'un jeune travailleur vaut plus que tout l'or du monde"
    L'Abbé Georges GUERIN est décédé le 15 Mars 1972 à l'âge de 80 ans.

Tombe_Charles_Jacques.jpg

dimanche 4 août 2013

Décoration d'un Fréménilois

Yvon Ramos décoration

Plus connu pour son dévouement, par les nombreux services qu'il rend autour de lui, notamment dans le domaine de la soudure dont il se révèle un artisan de talent, Yvon RAMOS adjoint au maire de Fréménil par ailleurs porte-drapeau officiel, a reçu le 14 Juin dernier des mains du Chef de bataillon Roland BOULANGER, l'insigne national des porte-drapeaux pour ses cinq années d'exercice.

C'est devant les trente porte-drapeaux de l'amicale réunis auprès du monument aux morts des Bosquets à Lunéville, à l'occasion de la journée commémorative des "morts pour la France en Indochine" qu'Yvon RAMOS a reçu les félicitations d'Alexis ANDRES sous-préfet de Lunéville et de Jacques LAMBLIN député-maire.

Toutes nos félicitations à notre sympathique et dévoué fréménilois.

J. S.     Juillet 2013

Crédit photographique : Cliché L'Est Républicain

jeudi 1 mars 2012

ADRIAN : Le Casque et les Baraques

Les générations dernières connaissent peu ADRIAN. Ce nom ne leur évoque pas grand'chose. Pour les générations précédentes, ce nom avait un écho : le "casque ADRIAN" porté par les soldats de la première guerre mondiale (et qui a re-servi au début de la seconde!), ainsi que les "baraques ADRIAN" dont certaines existaient encore dans notre village au siècle dernier.

Mais qui était ADRIAN ?

  • Louis, Auguste ADRIAN est un Lorrain, il est né à METZ le 29 Aout 1859. D'une famille modeste, son père receveur à la Compagnie du Gaz, décide de quitter la Lorraine annexée par la Prusse après la défaite de 1870 pour gagner la France de l'intérieur. Pauvre, mais brillant élève, Louis ADRIAN devient Ingénieur de l'école polytechnique et se spécialise dans le génie. Sa carrière militaire l'amènera à MADAGASCAR, puis au Service de l'Intendance des Armées dont il assurera la réforme. Il part en retraite en 1913. Mais en Août 1914, à la déclaration de la guerre, il a 55 ans, il se porte volontaire pour servir le pays.
Le Casque Adrian
  • Dès les premiers combats, on relève un pourcentage élevé de morts et de blessés victimes à la tête d'éclats d'obus et de balles. La protection des hommes par un casque est à repenser rapidement. L'ingénieux Louis ADRIAN met au point un casque qui portera son nom, relativement léger 700 grammes, qui sera fabriqué dès 1915 notamment par les usines JAPY de PARIS et de BEAUCOURT (territoire de BELFORT). Dès la première année de fabrication en 1915, les usines françaises assurent l'approvisionnement de l'armée. On mentionne que le casque ADRIAN est sorti à 7 millions d'exemplaires et il a permis de sauver des centaines de milliers de vies humaines. Le casque ADRIAN sera également adopté par les armées Belge, Italienne, Serbe, Roumaine, Russe, Hollandaise.

Les Baraques ADRIAN
  • Le génial inventeur ne se limitera pas au casque de protection qui porte son nom. Il met au point une veste contre le froid en peau de mouton, que les fantassins des tranchées apprécient en la surnommant "la peau de bique". Des bottes en cuir les chausseront grâce à Louis ADRIAN. Mais c'est dans l'abri des troupes en campagne qu'il va montrer encore son esprit novateur. Constatant que les troupes ne trouvent refuge que dans l'hébergement chez l'habitant ou sous la toile de tente individuelle, très limitée dans la protection du froid et de la pluie, il met au point un baraquement démontable et de construction rapide. Il mobilise 200 entreprises qui vont sortir "les baraques ADRIAN". Ces abris pourront mesurer jusqu'à 30 m. de long , mais le modèle de base aura une longueur  de 12 m.. Les baraques recouvertes de toile goudronnées seront chauffées. Tout l'avantage du système ADRIAN réside dans la conception originale des fermes en bois qui constituent l'ossature des baraques. Ces  fermes seront espacées régulièrement de 2m. Cet espace intercalaire recevra des panneaux planchéiés formant les murs. Une part de ces murs sera équipée en partie haute de châssis vitrés. La charpente bois assemblée constituant les fermes comportera des poteaux verticaux reposant sur des semelles bois; une écharpe prenant appuis sur les semelles et fixée à l'entret horizontal du plafond s'amarerra à mi-chemin au poteau vertical. Des panneaux planchéiés équiperont également la partie inclinée inférieure des écharpes.  Cette astuce de construction a pour objet d'éloigner les eaux pluviales de ruissellement des parties basses du bâtiment, puisque le-dit bâtiment n'est pas muni de gouttières ni de descentes d'eau. Les baraques pouvaient servir de dortoirs, d'infirmeries, de cantines, de bureaux. L'utilisation en abri de matériel imposait à la commande le choix de pignons équipés de grandes portes à battant permettant l’accès à des voitures, des camions, alors que les baraques étaient généralement équipées de petites portes.
  • En général, les baraques ADRIAN avaient une largeur utile de 6,70m. sur une longueur de 12m. et une hauteur totale de 4m. avec une hauteur utile sous entret de 3,70m. La largeur d'emprise au sol totale était de 8m. ce qui offrait une bonne stabilité compte tenu de l'augmentation du polygone de sustentation. Si la couverture était assurée initialement par l'emploi de toile goudronnée peu coûteuse, d'une mise en oeuvre rapide, on a relevé fréquemment l'utilisation de plaques de tôles ondulées comme matériau de couverture.
  • Le bâtiment proprement dit présentait des avantages appréciables de par sa conception, sa facilité de mise en oeuvre même par une main d'oeuvre non spécialisée, il restait un point délicat à régler, c'était le choix de son implantation qui dépendait de la nature du sol supportant l'ouvrage et de l'assainissement de ses abords. Cet aspect important dépendait des responsables des cantonnements où était décidé la mise en place des baraques.
Baraque Adrian

ADRIAN et Fréménil

  • Notre village avait vu l'implantation, dans le secteur Grande Rue- Chemin de la Maxelle, de plusieures baraques ADRIAN formant un poste de secours en campagne pendant la première guerre mondiale. La paix revenue, ces bâtiments ont été vendus aux enchères par le Service du Génie. C'est ainsi que l'on pouvait voir au siècle dernier, au lieu-dit Le Camp sur la route d'Ogéviller, trois baraques ADRIAN remontées à l'usage d'abris de matériel agricole et appartenant à MMrs. René HENRY, Camille MANONVILLER et Albert MANONVILLER. Au Faubourg, Pierre CHATEL exploitant en vannerie avait réutilisé une baraque pour y abriter son matériel et ses produits finis.
  • Quant aux casques ADRIAN, il n'était pas rare d'en trouver dans nos fermes. Ils avaient une utilisation bien précise: à l'heure de "donner à manger aux poules", ils servaient de réceptacle pour le grain à distribuer aux volailles!

Revenons à l'inventeur des casques et des baraques. 

Très en avance sur son époque, il a fait des recherches sur l'utilisation de l'énergie solaire. ADRIAN, un prècurseur méconnu.

En Octobre 1915, Louis ADRIAN l'Intendant militaire est promu Commandeur de la Légion d'Honneur pour l'ensemble de son travail et le 16 Juin 1920 il est élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d'Honneur. Malade, il se retire en Normandie à GENETS, face au Mont St Michel. Il décède en Aout 1933 à l'Hopital du Val de grâce à PARIS et repose au cimetière de GENETS (Manche) aux cotés de son épouse Marguerite et de son beau-père, le Chef de Bataillon PIGEON.

L'évocation de Louis ADRIAN est un hommage au génie d'un homme qui, dans une période particulièrement meurtrière, s'était donné comme mission la protection de ses frères d'armes. Il mérite que nous ne l'oublions pas.  Qu'il repose en Paix.

Jean SPAITE     Mars 2012

PS : La photo du casque Adrian provient de Wikipedia et est diffusée sous licence libre CeCILL. La photo de la baraque Adrian provient de "pages 14-18 - forum" et a été mise en ligne par michelnemo.

Liens : 

dimanche 17 juillet 2011

Quand on chantait

La scène que nous allons évoquer se situe en 1936.

En ce mois d’Août particulièrement chaud, on recherchait un coin d'ombre, abrité des rayons du soleil. La Marie ANTOINE, qui à l'époque devait avoir 55 ans, avait monté ses tréteaux soutenant son cadre tendu de tulle où elle pouvait poursuivre avec son crochet son ouvrage de perles qu'elle avait entrepris depuis plusieurs jours.

Quand il faisait chaud comme aujourd'hui, elle appréciait de se mettre dans le "racoin" de la maison du Georges DURAND. Il y avait toujours des curieux et surtout des curieuses pour venir admirer son travail, regardant, toujours étonnés, la course du crochet fixant les perles brillantes et parler de tout et de rien avec l'habile perleuse qu'était la Marie ANTOINE. En ces chaudes journées du mois d’Août, la Florence, la soeur de la Marie, de 4 ans son aînée, venait aussi tenir compagnie à la perleuse. Son travail habituel à la Florence était la cuisine. Aussi, à côté de sa petite soeur elle venait avec son panier de légumes qu'elle préparait, soit pour le repas du soir, soit pour faire des conserves pour les jours à venir. L'une comme l'autre, chacune dans son domaine, n’arrêtait jamais et souvent on pouvait voir la Florence partir sur les chemins des villages environnants pour "faire un repas de communion ou un mariage". La cuisinière en ces occasions poussait une charrette à quatre roues où elle avait entassé  avec soin les casseroles, les marmites, les ustensiles personnels indispensables pour remplir son rôle apprécié par les gourmets !

A l'abri du soleil, la Marie et la Florence étaient là, bien tranquilles, occupées à leurs ouvrages respectifs.  Et voilà qu'une visite s'invite à leur tranquillité !

Il s'agit des gamines du quartier. Elles ont une douzaine d'années et sont toujours admiratives devant le travail de "la Marie". Mais ce qu'elles aiment encore plus, c'est de l'entendre chanter et d'apprendre avec elle des refrains peu connu aujourd'hui. Il est vrai que notre Marie pouvait facilement évoquer l'époque 1900, et même un peu avant, quand elle était petite ... pour le plus grand intérêt de son jeune auditoire. Et la brave Marie ANTOINE ne se fait pas prier pour parler du temps de sa jeunesse en émaillant son récit de chansons joyeuses apprises "dans le temps"!...

Il me revient en mémoire une comptine que seule la Marie ANTOINE connaissait. C'était "Les filles dans un pré". En voici le texte :

Elles étaient dix filles dans un pré
Toutes les dix à marier
Y avait Dine
Y avait Chine
Y avait Claudine et Martine
Aaah!
Catherinette et Catherina
Y avait la belle Suzon
La duchesse de Montpanson
Y avait Célimène
Et y avait la Dumaine.

Quel tableau touchant d'évoquer Marie Antoine la perleuse qui se montrait une si douce "maîtresse de chant" avec son choeur admiratif de petites filles. Elle leur a appris des chansons gentilles mais ne dédaignait pas leur apprendre des cantiques d'église, elle qui se révélait une belle voix dans la chorale paroissiale.
 
Tout cela, c'était dans le temps, quand on chantait... et quand on chantait bien...

PS.  Ne soyez pas étonnés par les tournures locales de ce récit et notamment "LA Marie" et "LA Florence": On parle comme ça chez nous en Lorraine!
                                 
Jean SPAITE    Juillet 2011

vendredi 4 décembre 2009

Maires, Instituteurs, Curés

La vie du village s'est articulée depuis plusieurs siècles autour d'un triumvirat essentiel : le Maire, l'instituteur, le Curé.

Cette trinité républicaine se répartissait la gestion de la commune, l'instruction de la jeunesse et le développement spirituel des habitants constituant la paroisse. Ces trois responsables bien distincts, surtout après 1905, date de la séparation de l' église et de l'état, ont assumés leur rôle d'équilibre et d'harmonisation, des besoins, des connaissances et des esprits. Tâche délicate qui s'est souvent avérée difficile, tant les personnages mis en contact se sont révélés différents, chacun ayant son caractère, ses possibilités, ses limites aussi.

Nous nous proposons de faire découvrir aux lecteurs de ce site la liste des Maires qui se sont succédés dans la commune, la liste des Instituteurs qui ont vu défiler sur les bancs de l'école les enfants du pays, et la liste des Curés qui ont accueillis dans l'église du village tous les hommes de bonne volonté qui ont reçu de leur part des enseignements spirituels pour vivre fraternellement. Pour ces différents chapitres nous nous heurtons aux limites de l'histoire : qui a été le premier Maire de la commune, le premier instituteur, celui qu'à l'origine on appelait régent d'école, et le premier curé qui a eu le courage de venir se dévouer ici auprès des ruraux de l'époque ? Autant que possible nous avons tenté d'illustrer nos listes par des photographies nous permettant de mieux situer nos personnages.

Les personnes intéressées par notre démarche ont tout de suite demandé à ce que le premier chapitre traité soit celui de l'école, les maîtres et aussi les élèves. Nous aborderons donc ce chapitre de l'école en ce sens et, nous illustrerons ensuite le propos par des photos de classes à différentes époques. Vous aurez peut-être la surprise de retrouver une connaissance, un parent, un ami.

LES INSTITUTEURS

Pour ce chapitre scolaire, nous débuterons en 1697 et nous nous limiterons à 1963, date de la fermeture de l'école de notre village. A cette date, le nombre d'élèves diminuait, et l'on s'acheminait vers le ramassage scolaire auprès des établissements conservés. En cette année 2008, curieusement, le nombre d' enfants d'âge scolaire est en nette progression dans notre village avec l'arrivée de jeunes ménages, la construction de nouvelles maisons et un certain retour à la campagne.

Va-t-on rouvrir des écoles dans nos villages ?

La question peut se poser...

Liste des instituteurs

  • MMrs MATHIEU Laurent Recteur d'école installé en 1697
  • MICHEL Sebastien Régent d'école 1703
  • ENEL Joseph 1725
  • LAMBERT Antoine 1728
  • MASSON Louis Maître d'école 1744
  • BONTEMPS 1748
  • MONNET 1762
  • MAIRE 1765
  • EUSTACHE 1777
  • LAMBERT 1785
  • ROCH nommé en 1787
  • RENAUX 1787
  • JAMBOIS Gabriel l'an VII
  • BARTHELEMY Hubert 1811
  • MANONVILLER Joseph-André Instituteur 1818 (1)
  • LERAT Jean-François 1858
  • CORNIBE 1861
  • RIVET Joseph 1868
  • RENAULD Aristide 1886 (2)
  • KRETZ Joseph 1905
  • BALLAND Paul 1912 (3)
  • LECLERC Sergent,Instituteur militaire (37°RI) 1914-15 (4)
  • SUSSET Emile 1919
  • SUSSET Pierre 1929
  • GEORGE Roger 1937
  • DEREMBLE Georges 1940
  • Mlle NINCK Léa 1940 (5)
  • Mlle DALOZ Yvette 1942
  • Mlle NINCK Léa 1945 (6)
  • MMrs EURY René 1946
  • CLAUDE Lucien 1947
  • FERMETURE DE L'ECOLE 1963

(1)Epoux de Marie HOURDIAU fille de cultivateur à FREMENIL. Marie-Madeleine MANONVILLER fille de l'instituteur a été marraine d'unecloche de l'église de FREMENIL en 1845.

(2)Monsieur RENAULD est l'auteur d'une monographie sur FREMENIL. Ouvrage de référence.

(3)Epoux de Marie-Louise POIROT de FLIN. Il est tué à la guerre le 19/09/1914

(4)Régiment de Territoriaux sous les ordres du Commandant LAMY.

(5)Institutrice retraitée. Reprise au service 1° fois.

(6) ..."... ..."... 2° fois.

LES PHOTOS DE CLASSES

Les photos de classe font l'objet de deux billets distincts :
Photos d'école (1875-1894-1914-1928)

Photos d'école (1946-1948-1954-1956-1957)

LES MAIRES

Du latin "major", plus grand, le maire est le premier magistrat municipal, qui est l'organe exécutif de la commune. Pour ce chapitre des maires, nous débuterons en 1729 jusqu'à nos jours en 2008.

LISTE DES MAIRES

  • MMrs MANONVILLER Pierre 1729
  • MOUGENOT Nicolas André 1744 (1)
  • MENGIN Joseph de 1802 à 1814
  • GLAUDEL Joseph 1815
  • MENGIN Nicolas de 1820 à 1829
  • COLIN Nicolas de 1831 à 1836
  • GRANDCLAUDE Etienne de 1837 à 1870
  • MENGIN Camille de 1870 à 1896 (2)
  • BENOIT Jean Joseph de 1896 à 1898
  • ADAM Felix de 1898 à 1914
  • KRETZ Joseph 1914 
  • DIDELOT Eugêne de 1914 à 1918 
  • ADAM Félix de 1919 à 1930
  • BENOIT Henri de 1930 à 1940 
  • ADAM Christian 1940 3 mois 
  • TOUBHANS Joseph de 1940 à Mai 1945 
  • GROSDIDIER Maurice de Mai 1945 à Oct 1945
  • VILLEMAN Alphonse d' Oct 1945 à Mar 1959
  • CLAUDIN Paul de Mar 1959 à Mar 1965 
  • ADAM Yves de Mar 1965 à Juin1995 
  • THIERY Pierre de Juin1995 à 2001 
  • NEIGE Michel de 2001 à ce jour. 

(1) Il a été Maire de MANONVILLER en 1723.

(2) Marie Elisabeth Anna MENGIN, fille du Maire, a été Marraine d'une des cloches de l'église de FREMENIL en 1896.

Photos des Maires: Cliquer sur la photo pour l'agrandir

LES CURES

Pour ce chapitre des Curés, nous débutons en 1763 où nous notons que le prêtre JACQUOT résidait à FREMENIL, il en est de même de 1806 à 1834 pour Nicolas FORCOMBAT. Ce dernier était natif de DOMJEVIN et se trouve enterré dans le cimetière de sa commune natale.

Tous les autres Curés qui se sont succédés au service de la paroisse résidaient au presbytère de DOMJEVIN et furent responsables de plusieurs paroisses. L' église de FREMENIL est dédicacée à St PIERRE aux LIENS (St PIERRE es Liens)

LISTE DES CURES

  • MMrs JACQUOT Prêtre à FREMENIL en1763
  • POINT CARRE François de 1°Pluviose an VI à 1806 (10/09/1725 - 26/06/1807)
  • FORTCOMBAT Nicolas du 10/02/1806 à 1834 (1) (16/10/1765 à DOMJEVIN - 12/12/1834)
  • PFEITTER Etienne Martin du 17/02/1836 à 1840 (2) (Né à ZOTT - )
  • CLAUDE Alexis du 21/06/1840 à 1875 (3) (02/11/1897 à St Nicolas de Port - 10/03/1878) 
  • BOULANGER Jean-Baptiste Célestin du 01/11/1875 au 20/03/1884 (4) (19/11/1844 à Blamont )
  • CHARIER Nicolas Jules du20/03/1884 au 21/05/1907 (5) (17/01/1842 à Raon l'Etape )
  • MEYER Joseph Dominique Léon du 07/07/1907 à 1925 (6) (27/01/1872 à Dieuze - 17/01/1925)
  • HATTON Emile du 08/08/1925 au 03/08/1936 (7) (13/05/1882 à St clément - 16/06/1963) 
  • HASSENBOEHLER Félix Eugéne Martin du 03/08/1936 au 12/09/1951 (8) (12/04/1894 à Lunéville - 30/10/1978)
  • VIRTE Robert du 12/09/1951 au 01/11/1960 (18/01/1911 à Laronxe - 12/05/1961) 
  • VAUTRIN Georges du 01/11/1960 à 1976 (9) (Né 1911 à Igney 88 ) 
  • DEREMBLE Roland de 1976 à 1977 (10) (24/02/1926 à Domjevin )
  • BAILLY Charles du 17/07/1977 à ce jour (Né 1926 à Einvaux 54 ) 

CONCLUSION

Que ces Maires, ces Instituteurs et ces Curés nous rappellent que tous ont été au service de leurs concitoyens, de leurs élèves, de leurs fidèles.

Que ces hommes et ces femmes nous incitent à vivre fraternellement et à écrire l'histoire de notre village en parfaite communauté.

J S Nov. 2008

dimanche 13 septembre 2009

Ouvrage sur "La Résistance à Fréménil"

Jean SPAITE vient de publier un nouvel ouvrage sur notre village. Son titre : "La Résistance à Fréménil", 30 pages au format A4 illustrées de cartes et photographies d'époque relatent l'histoire du groupe de résistance fréménilois. En voici la présentation :

"Dans le petit village de FRÉMÉNIL, ils furent 7 personnes à constituer le groupe de résistance locale. Ces soldats de l'ombre ont contribué avec peu de moyens, mais avec courage, dévouement et patriotisme, à l'effort de Résistance contre l'occupant.
Pour que le groupe de résistance de Fréménil sorte du silence, pour que les générations qui viennent n'oublient pas ceux qui les ont précédés, il se devait de parler d'eux, ENFIN !...
Réservez bon, accueil à cet ouvrage, souvenir d'histoire locale.
Sortie de l'ouvrage : Octobre 2009"

Cet ouvrage est en vente auprès de l'auteur au prix de 8 Euros (acheté sur place à Fréménil) ou 10 Euros (8 Euros + 2 Euros de port) si vous souhaitez une livraison par La Poste. Pour le commander deux solutions :

1. Imprimer le bon de commande çi-dessous et envoyez-le à l'adresse indiquée accompagné de votre réglement.

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Pour vous donner une idée du contenu de l'ouvrage, voici quelques images extraites du livre :

samedi 14 février 2009

La poupée du Pépére

Le PEPERE était un paysan lorrain d'une vieille famille originaire de la vallée de la VEZOUZE, né dans la seconde partie du XIX° siècle. Comme beaucoup de ses contemporains , il exploitait un petit train de culture, produisant du blé, de l'orge, des betteraves, des pommes de terre. Le jardin attenant à sa ferme lui permettait une autosuffisance en légumes. Une ancienne chènevière près du ruisseau avait été aussi convertie en terrain potager très fertile. Une petite vigne et une treille en plein midi lui fournissait son raisin. Son cheptel était celui de bien des cultivateurs du village: un cheval, le brave BAYARD, trois vaches, quelques veaux, des poules et des lapins. Quelques ruches venaient compléter son équipage, procurant à la famille du bon miel lorrain.

Dans cette région réputée pour ses productions de vannerie, il possédait également des "saulcis" d'osier lui permettant de travailler des paniers pendant la saison d'hiver, après le cycle laborieux de la coupe des "soles" suivi du pelage au "péleu" et le séchage au soleil des "soles blanches". Ainsi sortaient de ses mains habiles, des corbeilles, des "bonges", des "charpagnes", des "pagnettes", des "volettes", ces claies en osier de forme ronde pour servir la bonne tarte de mirabelles de chez nous!...Quelques arpents de prés situés dans la prairie fournissait du foin et du regain apprécié par les bêtes pendant la saison d'hiver. Ajoutez à tout cela deux vergers plantés de mirabelliers, de cerisiers, de poiriers, de pruniers et de pommiers, de quoi avoir des fruits à longueur d'année.

La MEMERE, son épouse, avait bien du travail pour assurer l'intendance avec ses deux filles. Faire bouillir la marmite  n'était pas un vain mot, tout en se consacrant au ménage, la lessive, l'entretien de la maison, le jardinage, les soins des poules, lapins et cochons,sans compter la traite des vaches. Des journées bien employées pour elle aussi, qui complétait le budget familial par la production de broderie blanche: ici, si les hommes faisaient des paniers, les femmes elles, brodaient des mouchoirs, des draps, des taies d'oreillers pour des maisons réputées de PARIS. En ce temps-là, on ne chômait pas et malgré ce travail intense, on était heureux de vivre!...
   
Activité naturelle de nos paysans lorrains pendant la saison d'hiver: le bûcheronnage. En hiver, "on allait au bois!", car le chauffage des maisons était uniquement assuré par le bois comme combustible. Ce bois qu'il fallait abattre, débarder, débiter en quartiers, ranger en stères, transporter, scier, fendre, faire sécher, puis rentrer à l'abri. D'où le constat populaire: le bois, c'est un excellent moyen de chauffage, mais il donne chaud déjà avant de brûler.

La guerre de 1914-1918 avait dévasté la belle forêt de PARROY et, dans une moindre mesure, la forêt de MONDON. Après le conflit, il a fallu déblayer la forêt qui avait servi de champ de bataille. Les arbres étaient enchevêtrés, le sol était défoncé par les tranchées, les trous d'obus, les vestiges des sapes et des abris. Nos bûcherons lorrains ont assuré cette remise en ordre, assortie malheureusement de découvertes macabres qui ont trouvé un dernier repos au cimetiére militaire de REILLON nouvellement créé. Le travail de bûcheronnage sur ce champ de bataille était rendu dangereux par la présence des obus, des grenades, parfois de mines non éclatées. Le bois lui-même, meurtri par la mitraille, présentait des éclats d'obus néfastes aux lames de scies.

Dans les années 20, le PEPERE a senti le besoin d'augmenter sa productivité et de réduire sa peine. Premiers pas du progrès dans le domaine du bois de chauffage. Si l'abattage des arbres nécessitait l'emploi des haches, des merlins et des coins, le sciage voyait l'utilisation du passe-partout, cette longue et large lame dentée équipée de deux poignées, mise en mouvement de va-et-vient par deux hommes...On ne parlait pas de tronçonneuses en ce temps-là! Cependant les stères de bois stockés sur l'usoir des fermes étaient débités "à l'os", à la scie sur un chevalet.

Le PEPERE avait alors fait l'acquisition d'une scie à ruban mue par un moteur à essence, un BERNARD-MOTEUR, qui devait être bien connu par la suite dans les exploitations agricoles. La traction de cet engin était assurée par le "BAYARD, le brave cheval du PEPERE. Et ainsi, de fermes en fermes, de villages en villages, on pouvait voir l'équipage du "scieur à domicile" préparant le combustible pour la période d'hiver, évitant le long travail de sciage "à l'os" sur le chevalet. Bien sûr, il restait à faire le fendage, mais ce travail était jugé moins pénible que le sciage.

J'ai retrouvé une photo du PEPERE et de sa scie à ruban. Le brave BAYARD attend sagement sur  le côté, les pieds dans la sciure, et les oreilles pleines du chant de la lame débitant ses morceaux de bois.


"ET LA POUPEE ?"me direz-vous...  

 J'y arrive...       

Un jour, le PEPERE a trouvé sur un tronc d'arbre le dessin d'une Alsacienne avec sa coiffe en large ruban. Sans doute l'ouvrage d'un soldat sculpteur au couteau, en mal de sa promise. Le PEPERE avait tenu à conserver ce morceau de bois, témoignage de cette guerre qui avait fait tant de mal. Longtemps, je l'ai vu suspendue à une poutre au-dessus des réduits à cochons, et quand on passait près du "toc" sculpté, on disait bonjour à "LA POUPEE DU PEPERE".


Les années ont passé, le PEPERE nous a quitté il y a bien longtemps, une seconde guerre est venue encore avec ses malheurs.   La pauvre poupée a disparu. Prise de guerre ou bois de chauffage? Nul ne peut le dire. Il reste toujours le souvenir de "LA POUPEE DU PEPERE".
                         

                                                                             Jean SPAITE

Précisons: Le portrait du PEPERE concerne mon propre grand-père Albert MANONVILLER de FREMENIL (1870-1935)

Article écrit par Jean SPAITE et publié dans la REVUE LORRAINE POPULAIRE - AVRIL 2004- N° 177


Le Nicolas

Le NICOLAS ? Mais si, voyons, vous l'avez bien connu ! Il était né en 1875 et il est mort en 1956. Il avait 81 ans. Il était une figure dans son village. Cultivateur il était, cultivateur il était resté, jusqu'à son dernier jour, amoureux de la terre lorraine qui l'avait vu naître. De taille moyenne, coiffé d'une éternelle casquette sur un visage buriné, vêtu du traditionnel pantalon de velours côtelé, il illustrait le type même du RABOUROU (1): le laboureur de chez nous. Les yeux plissés, abrités par des sourcils très fournis,

C'était surtout quand il ouvrait la bouche sous sa moustache abondante pour parler en patois lorrain que l'on était étonné par le personnage. Il maniait le parler de chez nous avec aisance et son langage me posait problème lorsque j'étais petit. Je vous avoue que ses conversations avec ma grand-mère m'obligeaient à m'interroger sur la traduction. Bien gentiment, ma grand-mère me donnait par la suite la signification des mots qui m'avaient échappés. C'est ainsi que j'ai appris le lorrain comme d'autres apprennent une langue étrangère. Comme mon bon vieux grand-père était décédé, il me prit en affection et m'invita à venir avec lui dans les champs. Lui qui avait eu seulement deux filles, il était content d'avoir un garçon dans ses pas!...

Mais comment apprivoiser un gamin lorsque l'on reconnaît son propre côté bourru et pas si facile? C'est bien simple: il y a le CHEVAL !


Après une paire de cheminement sur le dos du "MARQUIS", j'étais convaincu de la belle vie du cultivateur ! Car ce philosophe-paysan maniait l'humour à sa façon. Donc ,son brave cheval de la race ardennaise avait droit au titre de "Marquis". Le NICOLAS possédait six vaches mais avait aussi un boeuf qu'il attelait pour certains transports. Cette grosse bête m'impressionnait car elle n'était pas toujours obéissante. Il ne fallait pas aller près de ses pattes : ce "bestiau" savait décocher "ses coups en vache"! Une telle attitude lui avait donné droit au patronyme de "STAVISKY" par le NICOLAS qui n'aimait pas les banquiers frauduleux en qui il ne fallait pas faire confiance. Avec lui, j'ai connu les quatre coins du ban communal avec les lieux-dits qui fleuraient bon le terroir.

Mais quand on est jeune, on a aussi ses occupations. Il me fallait aller à l'école et laisser "le NICOLAS" à son travail agricole. Quand je le retrouvais, il en avait des choses à raconter. "Tiens, pas plus tard que ce matin, j'étais au "GRAND JOURNAL"(2), près de la grand'route, et ben tiens-toi bien : j'ai vu passer deux camions des bouillons KUB et des potages MAGGY; et pis aussi le camion d'la "COPETTE"...(3) Heureux temps où, sur la route PARIS-STRASBOURG, on pouvait encore dénombrer les camions qui passaient!...


Je me souviens aussi des casse-croute chez lui, dans la cuisine. "Le travail, ça donne faim, ça donne soif, et il faut reprendre des forces, hein petit!.." Avec un cérémonial très rustique,il invitait sa femme , la bonne ALINE, à garnir la table : la miche de pain était coupée en larges tranches et l'on avait droit à la saucisse maison "de not' cochon". Cette charcuterie fumée à coté des bandes de lard et des jambons dans la sombre cheminée occupant un large coin de la cuisine, donc cette saucisse lorraine avait été baptisée par ses soins :" le bout du monde"! Et vraiment, j'appréciais " le bout du monde" du NICOLAS ! Ses filles étaient mariées avec des hommes prénommés tous les deux RENE, il les avait classés par ordre d'ancienneté : Il y avait " le RENE 1" , marié avec l'aînée, et " le RENE 2", époux de la deuxiéme. Hommage à sa façon aux Ducs de LORRAINE. Pince-sans-rire, il annonçait que s'il avait eu une troisiéme fille, il l'aurait appelé SCHOLASTIQUE !(4) Il avait consulté le calendrier, c'est une Sainte que personne ne connaissait : alors personne ne pourrait l'appeler pour lui prendre avec un nom pareil!...

Ce qui m'étonnait toujours, c'était de l'entendre vouvoyer sa femme, la bonne ALINE. Encore une marque de respect, de courtoisie, qui relevait d'une autre époque. 

Les années passant, et marqué par la fatigue, il laissa sa ferme à sa fille cadette et à son " RENE 2". Le NICOLAS et l'ALINE habitèrent dans une petite maison située pas bien loin de la Mairie-Ecole. Là au moins, il voyait des gens : les commerçants qui passaient avec leurs camionnettes, les autres paysans qui travaillaient encore et les gosses qui jouaient sur la place du village. Cette petite maison, il l'avait pompeusement dénommée "Mon Chateau".
 
Un jour, mon cousin MARCEL est venu lui rendre visite avec son épouse.
  "- Comment qu't'es v'nu ici ?
  "- Ben, j'ai une voiture!
  "- Et où est-ce qu'il est ton auto ?
  "- Ben près d'ton ancienne maison, d'vant ta ferme !
  "- Te vas m'faire le plaisir d'aller le chercher tout d'suite et d'le mett'là, d'vant chez nô, pour que les gens d'ici i sachent que j'ai une visite qu'a un auto ! Ah, mais!...

Mon cousin MARCEL obtempéra immédiatement, répondant à cette demande impérative, mais qui donnait satisfaction à un brave homme qui n'avait jamais connu une telle richesse : avoir une voiture... devant chez lui et qui appartenait à quelqu'un de sa famille. A chacun sa fierté!!!... Ce jour-là, la brave ALINE avait ouvert la porte du petit placard placé derrière le beau poêle en faïence. Avec précaution, elle avait sorti les petits verres à pied, puis le flacon de liqueur de sa fabrication : du Blanc-Bouillon, que tout le monde appréciait.  


 "- Te n'vas pas prendre du sirop de bonne femme, MARCEL. Te vas faire comme moé: une petit' goutte!"

Et d'autorité, la mirabelle fut sortie.  Sacré NICOLAS !
 
C'était dans les années 1950. Cette année-là, l'hiver s'était montré rigoureux, plus que d'habitude. Le brave NICOLAS, moins résistant que lorsqu'il était jeune, avait attrapé une mauvaise grippe. L'ALINE "était aux cent coups"(5). Inquiéte à juste titre, puisque le NICOLAS était si mal fichu qu'il était resté au lit une partie de la journée. En cachette, elle fait appeler le Docteur SEGALL, du village voisin. Surprise du malade à la visite à domicile du praticien :
  "- J'ai jamais vu de toubib depuis le Conseil de révision! Alors!..."

Auscultation, diagnostique, traitement: 
  "- Vous allez faire chambre à part pour ne pas refiler votre grippe à votre ALINE.
  "- Jamais d'la vie. J'ai tojo eu ma fôme avo mi, c'name astour que j'vas changer ! (6)
  "- Et puis je vais vous donner un bon sirop. Restez bien au chaud et au bout de huit jours, ça doit aller mieux.
  "- Bon, pour le sirop, passe enco', mais pour le reste, faut pas trop y compter!"
  Consciente de son rôle d'épouse et de soignante, la bonne ALINE veille à l'observation scrupuleuse de la prise de sirop...
  Le flacon de sirop "miraculeux" voisinait dans le petit placard derrière le poêle en faïence juste à côté de la bouteille de mirabelle. Il a beau être qualifié par le docteur de "bon sirop", le NICOLAS n'apprécie pas son goût qu'il trouve amer !
Alors à sa manière , il s'est soigné :                                                                                      "- Allez, c'est l'moment d'prendre le sirop là!". Il prend la cuillère de potion et hop, il recrache vite le sirop sur le plancher. Rien de tel, à son avis, que de prendre une goutte de mirabelle à la place!
Et pour les traces par terre ?
  "- Voyez ALINE, vol enco le peûh katz-lé qu'avo enco pissé ici. Ah! La manre bête !" (7) Innocent, et pour cause, le chat ronronne près du poêle en faïence. Et notre malade s'en est sorti de sa grippe!

  Sacré NICOLAS, va!...
             
                                                                          Jean SPAITE
   NOTES:
  (1) -RABOUROU : Nom masculin- patois lorrain. Le laboureur.
  (2) -Le GRAND JOURNAL  : Lieu-dit communal.
  (3) -La COOPETTE  : La Coopérative (U.C.L.-Union des Coopérateurs de Lorraine).
  (4) -Sainte SCHOLASTIQUE : Soeur de St BENOIT, née à NURSIE(v.480-547). Elle fonda un monastère de femmes près du mont CASSIN. Sa fête était le 10 Février.
  (5) -L'ALINE  " était aux cent coups". Expression lorraine : Inquiétude maximum.
  (6) -"J'ai tojo eu ma fôme avo mi c'name astour que j'vas changer". Lorrain : J'ai toujours eu ma femme avec moi, ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer.
  (7) - "Voyez ALINE, vol enco le peûh katz-lé qu'avo enco pissé ici. Ah! La manre bête!". Lorrain : Vous voyez , ALINE, voilà encore le vilain chat-là qui avait encore pissé ici. Ah! La mauvaise bête! 

      Préçisons: Le portrait de NICOLAS concerne Nicolas MANONVILLER de FREMENIL (1875-1956)
     
Article écrit par Jean SPAITE et publié dans La REVUE LORRAINE POPULAIRE Octobre 2003 N° 174


lundi 15 septembre 2008

Le père Denis (1891-1958)

Si vous interrogez un habitant du village qui a connu celui dont nous allons relater ( partiellement !!! ) la vie en posant cette question : " Vous souvenez-vous du Père DENIS ? ", vous avez droit inévitablement à cette réponse : "Le Père DENIS, mais bien sûr, avec ses grandes moustaches !.." Et oui, le détail physique qui caractérisait le personnage, c'était "ses moustaches".
De son vrai nom Désiré, Nicolas DENIS, il était né le 27 Juin 1891 à ANCERVILLER (54). Il avait fait la guerre de 14-18 et en était sorti avec le grade d'adjudant. La Paix enfin revenue, il fallait remettre en état les villages de la zone des combats. FREMENIL avait son église bien abîmée et notamment le plafond de sa nef complètement détruit. Nicolas DENIS, qui devait avoir une trentaine d'années à cette époque, exerçait alors le métier de plâtrier, a donc travaillé à la reconstruction du plafond de l'église et s'est acquitté de sa tâche par un travail impeccable. A côté de l'église, il y avait une petite maison (disparue aujourd'hui) où demeurait avec sa mère, Alice CONTAL. Le plâtrier compétent s'est marié avec la jeune Fréméniloise en 1924. Le jeune couple décide de se fixer à FREMENIL et ils devinrent parents de deux garçons : Louis et Jean.

Nicolas DENIS savait faire beaucoup de choses de ses mains : en plus du plâtre, il travaillait le bois comme menuisier-charpentier. Couvrir un toit entrait dans ses compétences et à l'occasion, il faisait de la maçonnerie. Comme tout le monde, à la campagne, il élevait des poules et des lapins, mais il était le seul à l'époque, à élever une paire de chèvres et un bouc. Un petit jardin, mais aussi une cheneviére convertie en potager lui assuraient les légumes pour la table familiale. Le train de vie qu'il menait était modeste mais il savait s'en contenter, agrémentant les menus quotidiens des récoltes gratuites de champignons, d'escargots, de mûres dont sa femme Alice faisait des confitures. Nicolas DENIS était un des rares habitants de la contrée a manger du hérisson! Comme les Manouches, les gens du voyage, avec qui il n'hésitait pas à parler !

Bien vite, il s'était laissé pousser les moustaches dont il savait se faire un ornement en retournant les pointes extrêmes. Cet aspect physique de moustachu l'avait fait entrer de bonne heure dans le rôle des personnages pittoresques, mais aussi doté d'une certaine sagesse. Il était devenu "Le père DENIS" et son avis sur bien des choses ne laissait pas indifférent.

S'il faisait son étape quotidienne au café du village, c'était pour un casse-croûte fait de pain, d'un morceau de lard ou de saucisse les jours fastes, ou de deux morceaux de sucre, voir rien les jours maigres. Mais toujours devant une chopine de vin rouge, ce vin dont il maculait sa belle moustache à chaque lampée et qu'il essuyait posément du revers de sa main. Il en profitait pour lire gratuitement le journal et, de ce fait, se tenait au courant des événements. Plus tard, quand il aura la chance d'avoir un poste de radio ( vers 1950 environ ) il prendra plaisir à écouter une émission sur l'histoire intitulée "La radio était là "faisant revivre des événements historiques. Il en parlait souvent.

Très patriote, le Père DENIS évoquait la grande guerre d'où il était rentré fort heureusement intact, en dépit des combats, avec le grade d'adjudant. Il se tenait prêt pour la suivante : Il avait sa "cantine "prête avec les habits militaires et surtout un sabre assez long qu'il exhibait à certaines occasions !!

Au cours de la 2° guerre mondiale, il reprit tout naturellement du service dans le groupe local de résistance, sous les ordres de Julien MALGRAS ; A leur actif on peut mettre des déraillements de trains militaires provoqués par des déboulonnages de rails sur la ligne PARIS - STRASBOURG (à EMBERMENIL et à LANEUVEVILLE aux BOIS ) de même que la mise en place des planches à clous sur la RN4 prés de la Forêt de MONDON aux passages des convois allemands dans la zone de "la BARAQUE ". Avec Gaston CARMENTRE, autre membre actif du groupe local de résistance, le Père DENIS récupère un side-car allemand qu'ils vont cacher dans le grenier de Julien MALGRAS le 5 septembre 1944. L'évacuation de pilotes de la RAF et de l' USAF tombés dans la région fait partie des actions du même groupe.

Le 3 Octobre 1944, les Allemands ordonnent l'évacuation de la population de FREMENIL tout d'abord vers HERBEVILLER, puis DOMEVRE et BLAMONT. Au cours de cette période, ils vont subir de nombreux bombardements et vivre dans des conditions difficiles et dangereuses. Le 18 Novembre 1944, les Américains libèrent BLAMONT,et les évacués de FREMENIL peuvent enfin retourner dans leurs maisons qu'ils vont trouver dévastées par les hordes soldatesques.
Le Père DENIS fait partie des premiers Fréménilois retrouvant leurs pénates. Dés lors il se met au travail pour redonner un minimum d'habitabilité à sa maison. Mais on retrouve chez lui son esprit de charité pour son prochain. Malgré sa modeste condition, il sait donner un coup de main, aider les personnes en difficulté. Chez les personnes âgées, il remet en état les fenêtres dont les vitres cassées laissent passer le froid, n'oublions pas qu' en cette fin Novembre 1944, la température est basse. Nous sommes en période de pénurie, on ne trouve plus de vitre, il masque les vides par des cartons. Bien des toitures sont abimées et il pleut! Il faut parer au plus pressé et le brave Père DENIS passe à l'action : remplacer les tuiles défaillantes sur la partie habitable. A sa manière, bien simplement, il se met au service de son prochain. Et nous retrouvons-là le trait de caractère de cet homme qui n'a qu'un but : l'efficacité.

Un dernier tableau : C'était pendant les années 1940. Une pauvre femme venait de mourir. La veuve MONTCOLLOT vivait avec un compagnon sans être mariée. Et ce couple de fait n'avait que peu de moyens. La Commune accepte un enterrement au cimetière, mais ne peut faire plus. Le Père DENIS intervient. Il fabrique lui-même le cercueil le plus simple qu'il soit. Il effectue la mise en bière. Il creuse "le trou" au cimetière et, sans aucun cérémonial, il assure avec l'infortuné et malheureux survivant l'enterrement.
Quand on mesure le chagrin que comporte le départ d'un être cher, quand on voit le geste généreux du Père DENIS dans un contexte fait d'indifférence, d'égoïsme... voire de mépris, on ne peut que dire à ce brave homme : CHAPEAU, Père DENIS, Vous nous avez donné-là une belle leçon.....

Le Père DENIS est décédé le 9 Février 1958 à FREMENIL à 67 ans. Une vie modeste certes, mais empreinte de charité, de générosité de coeur, de patriotisme.

FREMENIL peut être fière d'un habitant qui a su à sa manière, servir son Pays, rendre service autour de lui.



J.S Septembre 2008

dimanche 7 septembre 2008

Lucien CARMENTRE (1886-1982 )


Bien sûr, ce n'était pas un gros cultivateur (il avait 2 vaches, 2 porcs, des poules et des lapins...) mais il produisait du blé, de l'orge, du foin, de la pomme de terre et des betteraves. Comme tout le monde ici, il faisait son jardin, son verger. Mais il était aussi :
  • Apiculteur (il avait une vingtaine de ruches)
  • Vigneron récoltant (il réalisait un honnête vin de table)
  • Vannier (il produisait son osier et le travaillait pour faire des paniers, des bonges, des charpagnes...)
  • Coiffeur-Barbier (sa clientèle locale venait le voir le samedi en fin d'aprés-midi et le dimanche matin avant la messe !!!)
  • Infirmier (il savait soigner bien des maux, les blessures et a souvent tenu, avec réussite, le rôle de "sage-femme"...)
  • Garde-Champêtre
  • Garde-Pêche
  • Appariteur (il arpentait les rues du village avec son tambour pour annoncer les avis officiels)
  • Tueur de cochons (il savait débiter la bête comme un vrai boucher et traîter la cochonaille au maximum de rentabilité. (Il est vrai que dans le cochon, tout est bon !! )
  • Sonneur de cloches (il s'était révélé, au cours des ans, un trés bon carillonneur. On reconnaissait ses mélodies dans les villages environnants : "Tiens, ça, c'est "le Lucien "qui sonne!!")
  • Sacristain (il aidait Monsieur le curé, et, pendant de longues années, c'était lui, "le Lucien", qui préparait le pain béni dans "des paniettes" sur la tablette de la fenêtre de la sacristie. C'était le temps du pain béni...)
  • Maçon (monter un mur ne lui faisait pas peur, réparer un toit ou même remettre en état les culées du pont du chemin du cimetiére (dans les années 1934-1935) entrait aussi dans ses compétences.)
  • Fossoyeur et croque-mort (dans les derniers moments d'un être humain, on faisait appel "au Lucien". Il savait habiller un mort, le préparer pour la veillée funèbre, quelque fois même il a réalisé le cercueil,e t il s'occupait de "faire le trou" au cimetiére.)
  • C'était aussi un amateur de champignons et un pêcheur averti.

En voila des métiers, et pour lesquels, en ces temps-là, on n'exigeait pas de C.A.P. Ce qui comptait, c'était d'être utile.
Lucien joseph CARMENTRE etait né le 24 Septembre 1886 à Fréménil il est décédé le 11 Juin 1982 à Lunéville à l'àge de 96 ans.
Durant la derniére guerre, injustement dénoncé, il fut interné à la prison Charles III à Nancy pour détention d'armes. Toujours prêt à rendre service, le village lui doit beaucoup.

La photo illustrant l'article date de 1964

J S Aout 2008

Madeleine HOURDIAU (1898-1996)


Madeleine HOURDIAU, c'était la mémoire du village.

Elle connaissait tous les évênements ,tous les habitants ,elle retraçait de mémoire la généalogie de tel ou telle personne du village. Les parentées dans les villages voisins ne lui étaient pas inconnues. Jusqu'à un âge avancé, elle avait souvenir de tout ce qui s'était passé et vous le restituait avec exactitude. Oui, "la Madeleine" méritait bien son titre de "Mémoire du village".

J'ai souvenance d'une rencontre avec "la Madeleine" dans le cimetiére communal. Elle était en train de nettoyer une tombe qui n'était pas de sa famille. "Mais voyons, tous ceux qui sont ici, je les ai connus, je leur parle. Pour moi ils sont vivants, alors faut entretenir leur tombe parce qu'ici, ils n'ont plus de descendant pour le faire ,Nem !!"

Une autre fois, je lui demandais ses souvenirs de la guerre de 14. Que d'évocations : les noms des soldats, leurs régions d'origine, leurs régiments. Elle était intarissable.

Le bombardement du fort de Manonviller par les Allemands, elle le faisait revivre avec émotion. C'était le mardi 25 Août 1914 le matin vers 9 heures 30. Le bombardement se déchaîne et dure une grande partie de la journée. Les obus sifflaient au-dessus de la prairie et ont les entendait exploser sur le fort. Mais c'est surtout le lendemain mercredi 26 Août depuis 4 heures 30 du matin que les gros canons situés à Avricourt, écrasent le fort sous un pilonnement de gros obus toutes les 5 minutes. Ce jour-là son père, Charles HOURDIAU (1853-1932), sort de sa maison pour voir le passage dans le ciel des gros obus qui filent en sifflant violemment. A ce moment son voisin d'en face, Camille MANONVILLER (1864-1945), avec qui il était pourtant en froid (elle ne se souvient même plus pour quelle raison !!!!) l'appelle et lui dit : "Charles, viens avec moi dans l'grenier, te verras mieux j'crois bien qu'c'est la fin du monde!!" De fait, tous les deux regardent par la lucarne du grenier et ils voient avec stupeur le rougeoiement permanent qui marque le fort et ils voient l'arrivée de chaque obus allemand de 420.

Ca n'a pas été la fin du monde, mais le lendemain jeudi 27,le fort de Manonviller dans l'aprés-midi hissait le drapeau blanc et se rendait à l'ennemi. Et ce jour-là, le Camille et le Charles se sont réconciliés devant l'absurdité des guerres, quelles qu'elles soient. Quelle belle leçon pour Camille le cultivateur et pour Charles le vannier qui assurait aussi les fonctions de chantre à l'église.

Madeleine HOURDIAU en fidéle paroissienne a toujours assuré la propreté et la décoration florale de l'église tant qu'elle a pu le faire. Pour équilibrer son budget, elle qui vivait chichement, elle travaillait dans son jardin lui assurant des légumes, élevait quelques lapins, et aussi brodait des mouchoirs ainsi que des perles. Elle reste pour ceux qui l'ont connue "la mémoire du village" revivant passionnément les évênements et les personnages. Madeleine HOURDIAU était née le 5 Février 1898 à Fréménil, elle est décédée le 14 Décembre 1996 à Blâmont à l' âge de 98 ans.

Il est dit en Afrique que quand une personne âgée meurt, c'est une bibliothéque qui brüle.

Cet adage peut s'appliquer à Madeleine HOURDIAU, elle qui savait tant de choses sur l'histoire de son village.

La photo illustrant cet article a été prise le 24.03.1991 : Elle montre de G à D Julien Bardot, Madeleine Hourdiau et Nicolas Ledig

J S Aout 2008

Georges DURAND (1891-1964)


Sa silhouette faisait partie du village. Eternellement coiffé d'une casquette plus trés fraiche, il allait avec son seau "chercher de l'eau" à la borne-fontaine communale installée prés de chez lui,à côté du vieux puits banal. "Il n'avait pas l'eau sur sa pierre à eau" chez lui. Il a vécu trés longtemps avec sa maman :la Marie DALANCONTE. Ici ,les femmes mariées gardaient souvent leur nom de jeune fille dans les conversations locales. Comme bien des habitants du lieu, notre Georges avait pour profession : Vannier. Il faisait des panniers et pelait "ses soles " ! Un jardin lui procurait des légumes. Mais il était aussi :
  • Sonneur de cloches (c'est lui qui sonnait les Angélus matin, midi,et soir, puisque notre "moutier"( le clocher) n'était pas électrifié à l'époque )
  • Il assurait le rôle de chantre à l'église. En ce temps-là , il y avait non seulement la messe du dimanche, mais également les vêpres l'aprés-midi que notre Georges chantait tout seul, sans le curé appelé à d'autres offices. L'assistance était peut-être réduite, mais " le Georges "était là toujours fidéle à son poste .
  • Il souffrait d'une jambe qui rendait sa démarche traînante. Mais cela ne l'empêchait pas de bêcher les jardins des personnes qui avaient besoin de lui.
  • Fossoyeur occasionnel ,il assurait aussi cette fonction .
Quand "la Marie DALANCONTE" s'en est allée ,célibataire qu'il était, il s'est retrouvé encore plus seul. Il a continué ses métiers de vannier, sonneur de cloches et chantre ,mais de moins en moins fossoyeur. Son modeste costume du dimanche n'ayant plus d'âge depuis longtemps, et dont il ne voulait pour rien au monde changer, avait fait l'objet d'une réflexion dans le monde paroissial : "On ne peut pas laisser le Georges comme ça ! Faut faire qu'equ' chose!!" Inattendue, la solution fut trouvée par Monsieur le Curé : "On va faire une collecte et on va lui acheter une blouse grise, pour cacher ses trop vieux habits." Ce qui fût fait ,et notre Georges devint un chantre beaucoup plus présentable, même si sa voix quelque peu éraillée (le verre de vin étant la cause!) continuait de psalmodier les cantiques.

Brave homme, gentil... à sa maniére, le Georges a rendu service au village.

Quand notre chantre a rendu le dernier soupir, à 73 ans ,on n'a pas pu lui trouver de successeur....

J S Aout 2008

dimanche 18 juin 2006

Yves ADAM (1924-2006)

Yves Adam - E.R du 16.06.06
La petite église de Fréménil était comble vendredi 16 juin 2006 à 14h30 pour les obséques de Yves ADAM. Tout le village avait voulu rendre un dernier hommage à son ancien maire décédé quelques jours plus tôt à l'hôpital de Lunéville, à l'âge de 82 ans. On notait parmi l'assistance la présence de Monsieur Claude Bourra, Conseiller Général ainsi que de 3 portes drapeaux représentant les associations militaires.
  • Né le 27 janvier 1924 à Fréménil, Yves Adam a passé toute sa jeunesse au village. Engagé dans la 2e DB au côté du Maréchal de Lattre, il participe à la campagne d'Allemagne en 1944-45. En 1950, il épouse Denise Zehren. De cette union sont nés cinq enfants : Jocelyne, Marie-Josée, Catherine, Philippe et Didier (qui habite toujours au village). La famille s'est agrandie de 14 petits-enfants et 2 arrière-petits-enfants.
  • Yves Adam fût pendant des années entrepreneur de broderie perlée, assurant le dépôt à Fréménil pour la maison Nehlig et Gouillard et la distribution du travail sur la région de la Vezouze jusqu'en 1972. Après le déclin de cette activité, Yves termina sa carrière professionnelle comme magasinier chez Trailor, à Lunéville, et pût enfin goûter aux joies de la retraite en 1982.
  • Il fût pendant 30 ans, le maire infatigable et dévoué de notre petit village. Réélu systématiquement à chaque consultation municipale, il était aussi président du Syndicat des Eaux de Manonviller-Ogéviller. La photo çi-dessous le montre en compagnie de ses trois successeurs : P.Thierry et M.Neige, lors d'une remise de médaille en 1996.
  • Il aimait jouer aux cartes et fréquentait assidûment le club du temps libre, il ne détestait pas le jardinage mais ce qu'il affectionnait entre tout, c'était ses longues promenades dans les bois de Fréménil. Il connaissait chaque parcelle, chaque coin à champignons ou à muguet. Il n'était pas rare de le rencontrer arpentant la forêt de Mondon, s'aidant parfois les dernières années de sa canne.
  • Retiré à la maison de retraite de Gerbévillers, il s'intéressait encore à la vie de sa commune et lisait avec application l'Est Républicain. Victime il y a quelques mois d'une mauvaise chute ayant nécessité une intervention chirurgicale, il ne s'en était jamais totalement remis. C'est donc à Lunéville qu'il s'est éteint après une vie bien remplie.
A sa famille, à ses amis et particulièrement à Philippe et Catherine, mes amis, la rédaction de Fremenil.com présente toutes ses condoléances et toute sa sympathie.

Alain SPAITE

mercredi 31 mai 2006

Marie Colin (1861-1949)


Qu'est-ce que Vol'tolé ? Vol'Colin!
  • C'est ainsi que bien souvent Marie Colin faisait son entrée. De petite taille, vêtue de noir, un visage ridé comme une pomme reinette qui vient de passer deux hivers, un fichu noir sur la tête en semaine, ou coiffée d'un indescriptible "chépé" noir le dimanche, Marie Colin nous posait un problème quand nous étions jeunes : Jamais nous n'avons pu concevoir qu'elle avait été une petite fille un jour et puis aussi une jeune fille! C'était hors de notre compréhension.
  • Elle demeurait là où est situé le 14 de la grande rue à Fréménil (54), partie Est, puisque cette maison a été constituée dans les années 1980 par la réunion de deux petites maisons de manouvriers.
  • Sur sa tombe au cimetiere communal, on peut lire : Marie COLIN épouse CHATEL 1861-1949. C'est à 88 ans que s' éteignait une humble fréméniloise dont toute la vie a été marquée par le travail et qui a rendu service a toute la commune.
  • Son pere, Michel Colin (1826-1893), mort a 67 ans, était un pauvre manouvrier, travaillant a droite et à gauche chez les laboureurs qui voulaient bien de lui. Sa mère, Rosalie Adam, dite Zélie, (1828-1915) morte à 87 ans, acceptait tous les travaux pour faire bouillir la marmite : lessive, repassage, raccommodage, etc., sans oublier le jardinage.
  • En 1880, à 19 ans, elle épouse Joseph Chatel tout en restant chez ses parents ( ?). Situation peu ordinaire, vous en conviendrez ! Son mariage sera de courte durée. Au bout de six mois "Le joseph" quitte Fréménil pour Paris où il va trouver une place de cocher de fiacre. Pendant cette période parisienne, il limite ses relations avec Marie Colin à quelques lettres communes avec ses parents : "Ma chère femme, Cher Père et Chère Mère". Curieuse conception d'un couple. Il revient a Fréménil mais reste chez ses parents qui habitent "au Faubourg". En mauvaise santé, il meurt non sans avoir reçu une derniere visite de "sa femme". De cette union, il n'y aura pas de descendance!
  • Marie Colin, confrontée aux dures difficultés de la vie, doit y faire face et, suivant l'exemple de sa mère, elle fera son chemin dans la lessive, le repassage, mais elle devient rapidement habile dans la couture. Elle sait tres bien confectionner des chemises pour homme a partir des coupons de tissus qu'on lui apportait, de même que les pantalons de velours très prisés à l'époque.
  • Quand son pere meurt, elle a 32 ans et sa mère "la Zélie", 65 ans. Les deux femmes vont s'épauler pour faire face au destin, poursuivant leurs durs labeurs. Elles cultivent le petit bout de jardin situé derrière leur maison (partie Est de la maison de M. et Mme Jean-Paul B. 14 Grand-Rue) mais également leur champ " du Paturau" (lieu-dit "les Paturaux" puis les Patureaux-Son A) qu'elle appelait "la Ribotte", ainsi que leur petit verger "des Goths" (sur le chemin de Buriville, a l'angle du sentier du Haut des Meix, Son B parcelle n° 187 Lieu- dit "le Haut des Meix"). Quelques pommiers, mirabelliers, des framboisiers et groseilliers constituent l'essentiel de leur patrimoine. Au moment des travaux agricoles, la Zélie et la Marie Colin traversaient le village poussant devant elles une antique et bruyante carriole d'enfants haute sur 4 roues en fer à rayons dont la caisse fatiguée avait fait place a un coffre sommairement latté où s'entassaient les outils de jardinage et les paniers.
  • A l'aube de la Belle époque, elle a 39 ans et sa mère 72 ans. Pour les deux femmes, les robes a froufrou et le french-cancan sont d'un monde très loin d' elles.
  • Pour famille, Marie Colin avait deux cousines ( Mesdemoiselles Lebrun) habitant Lorquin en Moselle. Elles écrivaient de temps en temps et ce lien épistolaire la remplissait de fierté, pauvre Marie qui n'avait que cette seule manifestation familiale. Quand, après la guerre de 1914 les cousines de Lorquin sont venues la voir a Fréménil, elles ont vu la petite maison de manouvrier de Marie Colin. Apres avoir franchi la porte d'entrée peinte en blanc où la chatière découpée dans le bas laissait passer le bon vieux matou ainsi que les deux poules qui constituaient tout son cheptel, les deux cousines ont pris l' étroit couloir peint à la chaux, tournant à gauche elles ont vu la petite cuisine borgne, éclairée seulement par la porte vitrée du "poêle" qui donne sur la rue. Une "pierre a eau" en grès sans évacuation et sans eau - il fallait aller chercher l'eau au puits en face - une vieille cuisinière, un buffet, une table meublaient la piece plongée dans la pénombre. La belle pièce, c'était le " poêle" où le tic-tac de la pendule à contrepoids donnait un fond musical ponctué par les sonneries du temps qui passe. Une table ronde au centre, un lit de coin avec un "plumon" rouge, un crucifix a bénitier en "tête de lit" à droite de la petite fenêtre dont les persiennes à lamelles étaient grandes ouvertes pour donner plus de lumière. A gauche, il y avait la belle machine à coudre Singer orgueil de la couturiere! Et puis, trônant pas loin du lit, il y avait un vieux fauteuil Voltaire recouvert de dentelle où Marie Colin aimait se reposer.

  • Le poêle en faïence avec la porte de son four en "cuivre jaune" bien astiquée était le meuble important qui valait le nom de la piece. Sur le mur de la cuisine, il y avait des placards remplis de choses dont les feuilletons reliés ( provenant de l'Est Républicain et de l'Éclair de l'Est), et des livres qui constituaient la bibliotheque de Marie Colin. Et puis, je me souviens, sur une étagere, il y avait un "Bachus" à cheval sur un tonneau en Saint-Clément qui avait servi dans le temps de réserve de "goutte" ou de quelque liqueur. Une suspension à pétrole descendait du plafond bas. Les murs étaient recouverts d' un papier peint a rayures verticales. Un calendrier des postes et une ou deux gravures illustraient les murs. Il y avait bien sûr une pièce derrière la cuisine et, en allant vers "les derrières", des remises ou s' entassaient des tas de choses recouvertes de poussières et de toiles d' araignées où Marie Colin allait peu et déconseillait à ses visiteurs d'en faire la découverte : c' était son "reculaurüm" (dixit) qui s'apparentait a un capharnaüm.
  • En 1914, avec la guerre, Marie Colin va connaître. une activité débordante. Elle a 53 ans. Fréménil se trouve être le premier village sur le front de Lorraine (zone de Vezouze) a conserver sa population alors que toute la rive droite de la rivière avait été évacuée de ses habitants. C'est ainsi que Domjevin, Blémerey, Saint-Martin, vides de leurs populations, étaient sous la garde des seuls militaires français. La troupe comprenant le danger que courrait la population civile qui s'accrochait a ses pauvres biens, essayait de compenser cette situation par des actions sociales. Des "cuisines" étaient installées dans certaines maisons du village. Comprenez qu'il s'agissait de " roulantes"! Et les "cuistots" des roulantes se montraient généreux pour ces civils : puisqu'ils partageaient leurs dangers, ils partageraient aussi leurs repas. Les militaires cantonnant dans le village étaient devenus familiers des civils : on se réconfortait mutuellement, on faisait la connaissance de braves gens venus de l'autre bout de la France pour défendre le pays. Des amitiés se nouaient, et, quand un jour, l'ordre tombait de monter a l'attaque du côté de Reillon, de Vého ou de Leintrey, le village angoissé entendait le tonnerre de l' artillerie si proche, la fusillade et les hurlements de l'attaque, la bataille qui n'en finissait pas, les lueurs des incendies dans le ciel. Et quand meurtris, rompus par la fatigue et l'horreur des combats, les régiments redescendaient des lignes, les civils de Fréménil comptaient, eux aussi, les manquants. Que de jeunesse fauchée, combien de fils, de fiancés, d'époux, de pères de famille s'en sont allés ainsi en ces années de guerre...
  • Au service de ces braves qui défendaient la patrie, Marie Colin propose ses talents de couturière. C'était inespéré pour ces hommes dont la plupart ne savaient pas manier une aiguille! Que de boutons recousus, de poches rapiécées, d'accrocs réparés. Car il faut préciser que l'intendance était tres économe des uniformes militaires. Dame, on ne remplaçait pas une chemise ou un pantalon à la légère! Une spécialité de Marie Colin était la confection des calots, ces célebres calots à deux pointes, qui comme tout le reste, s'usaient, se perdaient, se salissaient. Coudre, recoudre, couper, c'était la condition de Marie Colin. Une autre production de notre Marie la Couturiere, pour étonnante qu'elle soit dans ces moments tragiques, c'était "Nénette et Rintintin". Avec des morceaux de laines de couleurs, elle faisait deux petits pantins d'une dizaine de centimètres de hauteur, bras et jambes écartées, des noeuds marquant la tête, le corps et les membres. Ces ornements futiles faisaient la joie des soldats qui n'hésitaient pas à en envoyer à leur famille, messages d'amour de la part de ceux qui faisaient la guerre en Lorraine.
  • En 1915, sa mere "la Zélie" meurt à 87 ans. Voici notre Marie toute seule dans la tourmente. Comme d'habitude, elle va faire face en poursuivant ses activités de couturière. En cette période de guerre, tous ces travaux lui vaudront rémunérations modestes mais qui lui suffiront à survivre.
  • La guerre finie, Marie Colin travaille dur. La couturière de Fréménil a du pain sur la planche pour satisfaire tout le monde, tant au village que dans les villages voisins. L'économie reprend. Il faut bien s'habiller et on n'a encore pas pris l'habitude de se fournir "en confection". Alors elle fait des pantalons, des chemises, des vestes pour homme, des robes, des tabliers, des corsages, des manteaux pour femme. C'est a cette époque qu'elle fait l' acquisition d'une machine a coudre Singer. Quelle légitime fierté que ce témoignage du progrès. Il fallait la voir pédaler pour actionner la courroie de cuir qui faisait tourner la machine dans un "tac-a-tac" triomphant!
  • A propos de chemises, mesurons l'habileté de Marie Colin la Couturière qui honorera une série de commandes : toute seule, elle arrivait à produire quatre chemises d'hommes par jour. Levée avec le soleil, sa première chemise était terminée a 8 heures du matin! Saluons le travail et la rapidité d' exécution comprenant la coupe, l'assemblage, le façonnage du col, des poignets et des boutonnières. Bravo Marie! Avec des chutes de tissus elle fabrique des "patins", chaussons simples et pratiques. Elle va aussi broder des draps, des taies d' oreillers, des mouchoirs, des nappes, pour Madame Alice Manonviller, entrepreneur de broderie blanche a Fréménil. Le Pere Denis, son voisin, avait recours a ses talents pour lui faire réaliser des pantalons de velours dont le tissu provenait des usines Bechmann d'Ogéviller. Pour lui, plâtrier de son état, qui allait sur les chantiers ainsi que pour son fils, le Louis, Marie Colin fabriquait des chemises molletonnées presque inusables. En échange de quoi, il lui faisait son bois pour l'hiver. Pas d'échange d'argent : Cette époque était encore marquée par le troc.
  • Mais toute cette vie active, que d' aucun trouve-ront bien banale était émaillée par des moments de bonheur. Elle aimait les enfants des autres puisqu' elle n'en avait pas. Animée d'une grande foi, elle fréquentait l'église, disait son chapelet et essayait de vivre son temps terrestre en accord avec son catéchisme. Son visage, ridé de bonne heure, savait s'éclairer pour une histoire d'amour. Qu'untel "fréquente" une telle dans le village et notre Marie Colin était contente pour ce roman qui s' annonçait. Romantique, elle l'était, car elle appréciait les livres. Delly, Max du Veuzit, étaient des auteurs qui la comblaient d'aise car, au moins là, tout finissait bien : "Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Et puis c' était souvent une fille pauvre qui rencontrait un beau jeune homme riche, et cela faisait rêver notre Marie Colin. En ce temps-la, on lisait "Les Veillées des Chaumières", les feuilletons des journaux l'Est Républicain, La Croix de l'Est, L'Éclair, Le Pelerin, La Croix (de Paris). Découpés et reliés par un gros fil, ces feuilletons constituaient une bibliotheque que l'on se passait de l'un à l' autre en donnant son appréciation. Le roman qui lui avait laissé un souvenir impérissable, c'était "Patrie perdue" dont l'action se situait en Alsace- Lorraine prise par les Allemands après la défaite de 1870. Pour se tenir au courant de la mode, elle était friande du "Petit Écho de la Mode", "Mon Ouvrage" , "Mode de Paris" qu'on lui prêtait.
  • Elle n'était pas une cuisinière émérite mais aimait encore bien les douceurs. Dans le domaine de la pâtisserie, elle réalisait souvent un "Tôt-fait" qui, comme son nom l'indique devait être rapidement exécuté. Mais que de fois n' était-elle pas à la recherche de la " saprée recette du Tôt-fait" qu'elle avait égarée ! Des moments de bonheur, Marie Colin en trouvait aussi dans les couarails et les veillées. Je me souviens d'elle quand elle venait chez ma grand-mère en plein hiver. La tête couverte d'un fichu noir, une pèlerine sur les épaules, engoncée dans un vieux manteau noir, elle arrivait chargée comme un mulet avec une lanterne et son cabas à rabat contenant son ouvrage de couture ou de tricot. Souvent, je l'ai vue arriver avec son "covah", sa chaufferette pour réchauffer ses pieds trop souvent froids. En dernier, ma grand-mère lui préparait elle-même une chaufferette avec des braises bien chaudes pour qu'elle n'ait pas le souci de ce chargement supplémentaire dans son déménagement. Elle aimait ses veillées ou elle pouvait parler du temps passé, de la guerre de 14, elle citait les noms des soldats, de ceux qui étaient partis pour ne plus jamais revenir; pour elle, tous ces événements étaient proches, elle les revivait à l'instant. Et puis, il ne se passait pas de veillées sans que notre Marie ne chante une chanson. Je l' entends encore chanter de sa voix un peu chevrotante mais encore juste " Froufrou" ou 'La Madelon", mais celle qu'elle aimait bien c'était celle qui racontait à un enfant l'épopée de Son père aviateur pendant la guerre, mort au champ d'honneur :
    "Il est parti sur un nuage, tout là-haut, bien haut Dans les cieux, en disant surtout soit bien sage, Je m'en vais tout prêt du Bon Dieu!".
  • Une autre de ses prouesses vocales était "la chanson des départements". Sous la forme d'une comptine, elle récitait, comme une litanie chantée, les départements de la France avec les chefs-lieux et les sous-préfectures. Véritable exercice de mémoire qu'elle réalisait comme un "chef" !
  • Avec l'âge, Marie Colin perdait ses facultés. Elle devenait "sourde comme un pot" obligeant ses interlocuteurs a crier pour se faire entendre. Sa vue s'en allait aussi et les lunettes équipées de verres gros comme des loupes étaient insuffisantes et ne lui permettaient plus d'exercer ses talents de couturiere et de brodeuse. Elle qui vivait déja chichement était contrainte a de nouvelles économies. Ma grand-mère essayait autant que faire se peut d' améliorer son ordinaire et lui préparait quelques soupes et autres mets plus consistants. Certains dimanches, elle avait droit a un dessert tel que le clafoutis, le savarin ou le baba au rhum qu'elle aimait. Elle ne manquait pas le lendemain de remercier encore et, pour souligner l'excellence de la pâtisserie, elle avait enrichi le vocabu- laire lorrain d'une appellation toute personnelle : "Mon Dieu, le Bibon le Savarin de dimanche, Alice! Mon Dieu, le Bibon!" du préfixe Bi : deux fois et Bon - donc deux fois bon ; quel critère de qualité!
  • Pauvre Marie Colin dont toute sa vie ne fût que travail et sacrifice pour arriver a joindre les deux bouts, à une époque qui ignorait l'allocation vieillesse. Mais sa force fût sa simplicité et sa bonne humeur qui lui permit de traverser les vicissitudes de la vie. Voilà le portrait d'une vie... d'une vie bien simple... Et pourtant dans sa simplicité notre personnage a servi ses contemporains. Chaque individu a une place dans ce monde. Marie Colin, en son temps, a tenu la sienne a sa manière, avec courage, en dépit des difficultés...
Article écrit par Jean Spaite et publié dans la Revue Lorraine Populaire de décembre 1998, No.145

dimanche 28 mai 2006

Mademoiselle Anna MENGIN (1857-1948)

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  • Du vieux clocher de Fréménil, la sonnerie de l'angélus s'envolait sur le village, portant son harmonie sur tout le finage (1) et même au-delà dans les paroisses voisines de Domjevin et de Blémerey qui s'éveillaient à leur tour. Bien peu de personnes savaient que la plus grosse cloche de la trilogie habitant le motet (2) avait pour nom de baptême "Marie-Élisabeth" du nom de sa marraine Marie Elisabeth Anna Mengin, son parrain était Jean Joseph Félix Adam, et c'est en 1896 que la cérémonie de baptême et d'installation de la jeune baptisée avait eu lieu dans le clocher paroissial. Depuis, au gré du temps qui passe et des événements, tristes ou joyeux, elle avait assuré son service de sonner angélus, messes, tocsins ou carillons. Elle faisait partie intégrante de la vie du village, rythmant ponctuellement les activités journalières.
    Mais qui était donc Marie Élisabeth Anna Mengin, sa marraine ?
  • Marie Elisabeth Anna Mengin avait 39 ans lors du baptême de la cloche qui portait son nom. En cette même année 1896, elle devait perdre son père François Nicolas Camille Mengin, âgé de 64 ans, fermier aisé qui vivait de ses rentes et qui avait été maire de la commune de 1870 à 1896. Héritière d'une vieille famille fréméniloise, elle avait vu le jour dans le pays de sa mère Marie Barbe Élisabeth Gérard, à Ancerviller le 23 mai 1857. L'accouchement auprès de la mère de la parturiente était une chose courante en ce temps-là. Son arrière grand-père Nicolas Mengin (1773-1854), maire de Fréménil de 1820 à 1829, avait fait bâtir la ferme qui était la base de cette famille de propriétaires agricoles et qui avait valu sa prospérité. Aujourd'hui encore, on remarque au linteau de la porte d'entrée de cette ferme (sise 9 Grande-Rue) l' inscription :
    18 NMG ♥♥ MTA 22

    qui signifie Nicolas Mengin - Marie-Thérèse Aubry avec datation de la construction 1822.
  • En face de cette ferme (16 Grande-Rue), une belle construction cossue avec un parc attenant était la propriété où résidaient François Nicolas Camille Mengin, son épouse Marie Barbe Elisabeth et sa fille Anna. Une belle grille en fer forgé en limitait l'entrée, cependant que toute la propriété était ceinturée de murs de maçonnerie de deux mètres de haut. Bien des personnes du village et des environs surnommaient la propriété "le château". Il est vrai que la demeure avait fière allure, tranchant avec les autres constructions du village, beaucoup plus modestes, avec ses deux marronniers majestueux flanquant son entrée et un sapin de plus de 12 mètres de hauteur dans le parc jardin voisin.
  • De sa prime enfance,, nous ne disposons que de peu de renseignements. Marie Élisabeth Anna Mengin a bénéficié d'un environnement familial aisé et plein d' attention pour l'enfant unique qu'elle était. Éducation rigide, enseignement particulier par des professeurs privés, pratique musicale, notamment du piano, et travaux de broderie et crochet lui furent prodigués par sa famille. Marie Elisabeth Anna Mengin avait 13 ans lors de la guerre de 1870. Elle a 43 ans en 1900 à la Belle Epoque et 48 ans au décès de sa mère survenu en 1905. Célibataire, répondant à une fière tradition d'une famille aisée et bien pensante, " Mademoiselle Mengin" était respectée par tous. Son esprit de charité l'orientait vers les personnes en difficultés que l'on qualifierait aujourd'hui "d'économiquement faibles". Son esprit religieux la faisait fidèle aux cérémonies paroissiales. Elle avait sa chaise réservée au fond de l'église près des fonts baptismaux, ce qui traduisait là sa modestie, accompagnée de sa fidèle Servante Émilienne Villeman. Aider la paroisse était dans son programme de vie et sa générosité se manifestait par des dons directs au curé en poste, des achats les plus divers. Ne lui doit-on pas l'harmonium qui constitue une première dans les villages environnants, les nombreuses statues : Sacré Coeur, Vierge Marie, Sainte Thérèse, les linges d'autel, les personnages de la crèche de Noël. Le lustre d'éclairage en cristal de Baccarat plein de "pendeloques" ( sorte de larmes qui pendaient sous chaque bougeoir) et terminé par une belle boule également en cristal, faisait partie de ses acquisitions pour l' embellissement de l'église. Ce luminaire d'exception a été définitivement endommagé en octobre 1944 pendant l'évacuation du village et l'occupation par les troupes allemandes puis alliées.
  • Qui ne se souvient de la distribution des oeufs de Pâques à l'issue de la cérémonie du jour ? Ah, quel heureux jour pour les enfants du village : "La Demoiselle" s'installait sur sa chaise à la porte de l'église sous les cloches et procédait elle-même à la distribution. Ces oeufs en sucre, finement décorés faisaient la fierté des gosses que nous étions, nos yeux brillaient de convoitise gourmande. La "Demoiselle" éprouvait une joie bien légitime à faire plaisir aux autres qui compensait sa solitude, elle qui n' avait pas d'enfant... Et là-haut, dans le clocher, les cloches, sa cloche, sonnaient, carillonnaient, sous la frappe experte de Lucien Carmentré.
  • Son dévouement pour les autres, on le retrouve dans la venue d'une "chère soeur" à Fréménil qu'elle obtint de la Congrégation des Soeurs de Saint Charles de Nancy. Ce sera Soeur Sabine qui sera affectée à la lourde tâche de faire le catéchisme, enseigner la couture et les conseils ménagers. La gent féminine du lieu doit beaucoup à cet enseignement précieux et gratuit, à une époque où l'on ne parlait pas de Service Social. La Soeur était logée et nourrie aux frais de " la Demoiselle".
  • En 1914, le canon gronde, elle a 57 ans.
  • "Le château" est réquisitionné pour abriter un commandement militaire. Les officiers apprécient cette vaste maison qui constitue un havre de paix relative à deux pas du front. Rappelons que le front de Lorraine s'est stabilisé pendant près de quatre longues années sur les hauteurs dominantes de la vallée de la Vezouze. Tous les villages situés sur la rive droite du cours d' eau furent évacués : Manonviller, Domjevin, Blémerey, Saint-Martin. Les lieux des combats avaient pour noms : Forêt de Parroy, Emberménil, Leintrey, Vého, Reillon. Le magnifique sapin situé dans le jardin allait constituer un observatoire de premier choix et une platetforme planchéiée avait été aménagée dans ses branchages ainsi qu'une antenne reliée au poste de radio (la TSF), émetteur récepteur sis dans les arrières de la Maison Carmentré (actuellement n° 7 Grande-Rue).
  • La période de paix de 1918 à 1939 se traduit par un calme reposant après l' épreuve de la 1ère Guerre mondiale. Le pays panse ses plaies, reconstruit les maisons détruites. Le "château" est l'objet d'un entretien suivi, cependant que jardin et parc sont confiés aux mains expertes d'un jardinier. Toujours dévouée, "La Demoiselle" n'hésite pas à assurer la formation musicale de quelques élèves et le "château" résonne des notes hésitantes mais cent fois répétées du "gai laboureur" sur le piano du lieu. La pratique religieuse permet la réalisation de magnifiques reposoirs lors de la célébration de la Fête-Dieu et celui situé devant la "Maison de la Demoiselle" rivalise avec ceux du reste du village.
  • 1938 voit des manoeuvres militaires dans notre village. La vie étant un éternel recommencement, une batterie d'artillerie stationne sur le terre-plein devant la maison de Mademoiselle Mengin avec quatre pièces de 105 dont les grosses roues sont équipées de palettes qui se veulent tout terrain.
  • 1939, voici de nouveau la guerre. Mademoiselle Mengin a déjà 82 ans. Les hommes sont mobilisés, "la Demoiselle" n'hésite pas à se mobiliser aussi. Chaque soldat du village va recevoir un colis confectionné avec beaucoup d' amour. Le rude hiver 1939-1940 sera l'occasion d'apprécier les passe-montagnes, les cache-col, les chaussettes et les gants tricotés par ses soins. Elle incite d'autres bonnes volontés à suivre son exemple, se chargeant des colis et des expéditions. Et 1940 voit la débâcle et les prisonniers dans les camps. "La Demoiselle" poursuit inlassablement son travail de fourmi charitable envers les prisonniers et leurs familles.
  • Quatre années de guerre vont passer. "La Demoiselle" subit cette épreuve sachant qu'il y a plus malheureux qu'elle sur terre : les gens des villes qui ont tant de mal à se nourrir, les prisonniers, ses chers prisonniers pour lesquels elle pense et prie... Les soldats sur tous les fronts...
  • Les combats précédant la libération du territoire se rapprochent et le front se stabilise depuis septembre 1944. Nous sommes en pleine bataille de Lorraine qui fait suite à la bataille de Dompaire dans les Vosges qui avait vu les chars de la 2` DB du Général Leclerc s'attaquer aux Panzers allemands. Les "Panthers" rescapés de cette bataille regroupés sur la vallée de la Vezouze, les forêts de Mondon et de Parroy décident une contre-attaque sur Lunéville. La 3ème Armée US du Général Patton et ses chars "Sherman" sortira victorieuse de cette bataille qui aura pour conséquences de nombreux dégâts au nord-est de Lunéville (zone d'Arracourt, Bures, Lezey, Réchicourt).
  • Les autorités allemandes décrètent l'évacuation de toute la population située dans cette zone à dater du 3 octobre 1944. Mademoiselle Mengin fait partie des évacués. Elle part avec sa fidèle servante sur le chariot de son fermier René Henry et les siens. Quelle épreuve pour une femme de 87 ans, étrangère aux campements de fortune, aux risques des bombardements et des mitraillages, à la rudesse des soldats allemands. Ils font étape à Herbéviller, Domévre, Blâmont. Ils logent dans les granges, dans les caves, et rarement dans un vrai lit. Enfin, le 18 novembre 1944, Blâmont est libérée par la 79° Division d' Infanterie US. Quelle joie pour tous, mais tous n'ont qu'une hâte : rentrer chez soi ! La rentrée sera effective le 24 novembre 1944. Quel spectacle de désolation de voir sa maison spoliée, livrée aux courants d'air, des trous d' obus et des flaques d' eau partout, plus d'électricité... Un grand nettoyage s' impose ! Et heureux qui peut encore s'abriter sous un toit, même percé par endroit !... Avec courage, " La Demoiselle" surmonte une fois de plus cette épreuve. Après avoir fait mettre hors d'eau "son château", consciente que les habitants du village n'ont plus qu'une église fortement endommagée, aux vitraux totalement détruits, où l'on ne peut plus célébrer la messe, elle fait aménager à ses frais une chapelle provisoire dans son grenier. La vie reprend peu à peu son cours. C'est l'époque de la reconstruction et de l'espoir en une paix durable enfin retrouvée. Fatiguée par une vie où elle s'est mise toujours au service des autres, "la Demoiselle" s'éteint le 20 novembre 1948 à 14 heures pour un repos mérité à l' âge de 91 ans. Il y a de cela un demi-siècle... Nous garderons d'elle le souvenir d'une personne charitable, empreinte d'une certaine noblesse, qui a marqué à sa façon son passage sur terre.
  • Sur le tombeau familial au cimetière de Fréménil, aucune marque particulière sur les personnages qui y sont enterrés. Puissent ces quelques lignes apporter la preuve que "la Demoiselle" a fait du bien lors de son passage ici-bas. Écoutez... la grosse cloche de l'église pense comme nous...
  • Encore une preuve de son action charitable : la donation perpétuelle que Mlle Mengin a fait à l'hôpital de Blâmont pour réserver un lit destiné à accueillir un malade de Fréménil, hébergement gratuit. Depuis cette donation, de nombreux Fréménilois ont bénéficié de ce service. Discrétion, mais efficacité... Merci " La Demoiselle"...
NOTES
  • (1) Finage : n.m. Territoire relevant de la juridiction d'un seigneur. Par extension, territoire communal paroissial.
  • (2) Motet : n.m. Église (de moustier : monastère).

Cet article a été rédigé par Jean SPAITE et publié dans la Revue Lorraine Populaire d'avril 1999, No.147
Photo de Lucien Carmentré ajoutée le 25.08.08